Divertir, Découvrir, Enrichir
WebOuest «Thrifteurs» professionnels: Héros ou zéros?

«Thrifteurs» professionnels: Héros ou zéros?

Par Joëlle Preston | 4 mars 2023

Encore un sujet controversé, cet article aborde la conversation parfois tendue au sujet des friperies soignées ou de luxe. Plusieurs sont de l’opinion que ces entrepreneurs, les «resellers», s’engagent dans un métier non éthique et vorace, et qu’ils abusent d’un accès privilégié aux biens et produits à très bas prix pour ensuite réaliser des profits grotesques. Mais je suis là pour vous dire que ce n’est pas tout à fait le cas. Ces entrepreneurs sont, à mon avis, essentiels à la transition globale vers une économie circulaire.

L’argument que j’entends le plus souvent contre les thrifteurs professionnels c’est qu’ils enlèvent des ressources abordables à des gens qui n’ont pas les moyens de s’acheter du neuf. Ce que plusieurs ne savent pas, c’est que les vêtements et les biens ne restent pas sur les cintres et les étagères éternellement. Le vieux stock est éventuellement remplacé avec du neuf, et les habits non vendus sont destinés à la décharge. Une étude de l’Association nationale du recyclage textile pour les causes charitables  (ANRTCR), commandée par Environment et changement climatique Canada (ECCC) estime que des 1,3 millions de tonnes de vêtements usagés/débarrassés annuellement au Canada, 76% finissent au dépotoir, ce qui représente presque 1 million de tonnes. Pire encore, 95 % de tous ces vêtements a le potentiel d’être réutilisés ou récupérés, ce qui représente une valeur économique potentielle de 7 milliards de dollars (je vous en dirai plus sur cet étude dans mon prochain article!).

Les friperies sont inondées de donations et peuvent à peine faire circuler le stock qu’ils reçoivent. Montrer du doigt les resellers c’est complètement passer à côté du vrai problème: si nous nous débarrassons d’autant de stock, pourquoi est-ce que les gens moins fortunés doivent toujours acheter des vêtements et des biens? Il doit y avoir un moyen d’intercepter le surplus de stock pour le distribuer dans nos communautés au lieu de polluer le littoral des pays en développement. 

WebOuest
Vêtements échoués sur les rives de l’Ouganda. Source: https://www.voguebusiness.com/sustainability/secondhand-fashion-is-it-really-good-for-africa

Mon deuxième point, c’est que les coûts d’opération d’un thrifteur professionnel ne se réduisent pas au simple coût de l’inventaire. La différence entre les grandes friperies et une friperie soignée est avant tout la différence du temps investi dans la vente, ce que j’appelle les coûts de la curation. Plusieurs personnes ne s’intéressent pas du tout à fouiner dans le bordel des friperies pour des vêtements qu’ils cherchent, parce que le thrifting, ça prend du temps. Voilà le grand travail effectué par le reseller, travail qui doit être rémunéré. Je vous donne un exemple. Disons que j’achète un vêtement à 10 $, et que je le revends à 40 $. On pourrait assumer que j’ai fait un profit de 30 $. Mais ce qu’on ne considère dans cette équation est le temps passé dans des friperies à dénicher la pièce, le temps de la nettoyer, de la photographier, d’en prendre les dimensions, le temps de publier sur Instagram, et de communiquer avec des acheteurs potentiels – et ceci ne sont que les coûts variables de l’objet. De plus, les thrifteurs professionnels, de façon générale, développent une image de marque et un style reconnaissable, ce qui ajoute aux coûts de l’entreprise: des photos soignées et stylées, des campagnes de marketing en ligne et sur les médias sociaux, etc. Il y a aussi les coûts opérationnels du site web et de la plateforme d’e-commerce, la présence constante sur les réseaux sociaux et la création de contenu, le coût des marchés éphémères… et surtout, tout le temps passé dans les friperies ils n’ont absolument rien trouvé du tout!

WebOuest
Deux femmes fouillent un coffre pour dénicher des trésors. Source: Pexel

Pour tout dire, les resellers offrent à une plus grande audience des biens ou des vêtements soigneusement choisis autour d’une esthétique, ce qui facilite l’accès pour le public au biens de seconde-main dans un secteur ou il y a une abondance épatante. Comme je l’ai dit plus haut, les resellers font intégralement partie de la solution. Alors que dénicher des trésors semble être un métier trop facile et trop bon pour être vrai, ce n’est pas aussi profitable qu’on le croit et c’est un vrai métier d’amour, car il vient avec des tâches moins glorieuses et moins amusantes, parfois même dégoutantes!

_______

Pour soucis de transparence: Je suis créatice et reseller de bijoux vintage et de seconde-main. J’ai longtemps refusé de commencer une friperie soignée, car je croyais fermement aux arguments présentés ci-dessus, et je ressentais une énorme frustration envers ceux qui faisaient de la revente. C’est seulement lorsque j’ai commencé à en apprendre plus sur le sujet, que ma perception des friperies soignées a grandement changé. Si je suis reseller aujourd’hui, c’est parce que je crois sincèrement que c’est une des meilleures solutions immédiates et accessibles au problème de surproduction mondiale. En offrant des biens de seconde-main, je dissuade l’achat du neuf. Cet article est écrit avec cet esprit, pour vous encourager à participer à l’économie circulaire comme vous le pouvez, et de reconsidérer vos opinions sur les resellers comme j’ai pu le faire!

 

La francophonie du Nord et de l’Ouest habite sur des territoires visés par de multiples traités avec les peuples autochtones ainsi que des territoires non cédés. Ces peuples ont accueilli les premiers francophones et les ont aidés à survivre et prospérer. C'est dans le respect des liens avec le passé, le présent et l'avenir que nous reconnaissons la relation continue entre les peuples autochtones et les autres membres de la communauté francophone. Au-delà de cette reconnaissance, WebOuest s’engage à mettre en lumière des histoires des peuples autochtones qui habitent toujours ces terres.