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WebOuest Une promenade dans un cimetière : pas si bizarre que ça

Une promenade dans un cimetière : pas si bizarre que ça

Par Dominique Liboiron | 19 avril 2025

Cherchez-vous un endroit à la fois paisible et intéressant où passer du temps? Si oui, j’ai une suggestion – allez dans un cimetière. Cela peut vous sembler un peu hors de l’ordinaire, pour ne pas dire étrange, mais permettez-moi de vous montrer 16 photos pour vous changer d’idée.

Dans ma chronique du mois de mars 2023, j’ai dévoilé que j’aime visiter les cimetières. J’ai cette habitude depuis bon nombre d’années. Il y a plusieurs aspects des cimetières qui me captivent.

D’abord, ce sont des lieux tranquilles. Dans mes cimetières préférés, je n’entends pas de bruit et il n’a pas trop de monde. De plus, la plupart sont bien entretenus et ressemblent quasiment à des parcs et d’autres sont même fréquentés par des animaux sauvages. 

Ensuite, ce sont des lieux qui nous amènent à mieux comprendre l’histoire d’une communauté. En lisant les pierres tombales, il nous arrive de savoir d’où venaient les gens, quelle langue ils parlaient ainsi que leur travail. Nous apprenons au sujet des tragédies qui ont marqué une population, mais nous sommes en mesure d’apprécier les croyances et les perspectives qui leur donnaient confort durant les moments les plus difficiles de la vie. 

De plus, les pierres tombales portent souvent de la poésie, des bas-reliefs et même des sculptures. Donc, elles sont des œuvres d’art. Un cimetière peut nous attirer tout simplement en raison de sa beauté artistique. 

Avec ces pensées-en tête, joignez-moi pour une promenade dans un cimetière que j’aime bien. Il s’agit du cimetière Mountain View qui se trouve au centre de Lethbridge, une ville albertaine située à deux heures et demi au sud-ouest de Calgary. Je vais vous montrer quelques-unes de mes fosses préférées. 

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L’herbe fraiche et l’absence de prédateurs attirent les chevreuils vers des cimetières urbains comme celui-ci. (Crédit : Dominique Liboiron)
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Les chevreuils qui habitent dans les cimetières ont souvent l’habitude de voir des humains. En raison de cela, nous pouvons regarder ces animaux de près et les prendre en photo sans qu’ils fuient. Quand j’ai capté cette image, j’étais à une dizaine de pieds du faon. (Crédit : Dominique Liboiron)
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Comme je disais, nous apprenons au sujet d’une communauté en lisant les inscriptions. Ici, le mot « frontiersman » fait allusion à l’époque Far West. Le mot « trader » n’en dit pas tout, car il devrait être précédé par le mot whisky. Comme bien d’autres anciens combattants de la Guerre civile américaine, George Houk voulait se remettre de la crise économique qui est survenue après le conflit. Cherchant à se faire de l’argent rapidement et sans trop s’occuper de la loi, il est devenu un trafiquant de whisky. Il s’est installé dans la région et échangeait de la boisson pour des fourrures apportées par les Autochtones. (Crédit: Dominique Liboiron)
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Après la venue des trafiquants de whisky et de la police montée qui les a suivi, des ranchers ont premièrement peuplé le sud de l’Alberta. En même temps, les mines de charbon autour de Lethbridge ont attiré beaucoup d’immigrants et ces derniers venaient souvent de l’Europe de l’Est. L’histoire de mineurs est souvent oubliée lorsque nous pensons au peuplement agricole de l’Ouest. Néanmoins, ce sont les mineurs qui ont grugé le charbon qui servait à véhiculer les trains à vapeur qui ont transporté les fermiers dans les Prairies. Les pionniers ont chauffé leurs maisons à l’aide de ce charbon. Les mineurs travaillaient dans des conditions difficiles, dangereuses et même mortelles. Tel qu’indiqué sur l’inscription, ce monument honore la vie de trois hommes qui sont morts à la suite d’une explosion dans une mine le 9 décembre 1935. Ils se nommaient Kyfa Zmurchuk, Harry Dugan et Bill Lukacs. (Crédit : Dominique Liboiron)
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Comme de raison, la venue de gens d’autres pays sous-entend la présence d’autres langues. J’aime voir des inscriptions qui ne sont pas en anglais, car ma pierre tombale sera écrite en français. Je ressens donc une affinité pour les gens qui choisissent une inscription écrite dans leur langue maternelle. Ici, la pierre tombale d’Helen Napadajlo est en russe avec une traduction anglaise à droite. Nous voyons, en plus, une croix russe, symbole de sa foi orthodoxe. (Crédit : Dominique Liboiron)
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Beaucoup de Japonais se sont installés dans le sud de l’Alberta au début du siècle dernier. Durant la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement fédéral les a embarrés dans des camps d’internement en raison d’une crainte qu’ils seraient fidèles à l’empire du Japon. Cela en dépit du fait que toute une génération était née au Canada. Cette crainte, fondée sur aucune preuve, était une injustice. Pour ma part, je demande si cette persécution n’aurait pas accéléré la perte de la langue japonaise en Alberta. Je ne retrouve presque aucune pierre tombale dans leur langue, et ce, même parmi les premiers venus qui étaient nés au Japon. Ayant vécu là-bas pendant trois ans, je peux dire qu’en temps normal, les Japonais tiennent fortement à leur langue et à leur culture. (Crédit : Dominique Liboiron)
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Parmi des centaines de fosses japonaises dans le cimetière Mountain View, j’en ai trouvé juste deux ou trois avec des caractères japonais. Je remarque que chez les Chinois de Lethbridge, l’emploi de la langue chinoise est encore très commun, tel que nous voyons dans ma deuxième photo : un faon derrière une pierre tombale. (Crédit : Dominique Liboiron)
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L’histoire de la Deuxième Guerre mondiale ne se limite pas aux camps où les Japonais ont été incarcérés sans procès. L’histoire de ce conflit est complexe et comprend aussi des gestes de bravoure et de sacrifice. (Crédit : Dominique Liboiron)
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Quelques mots peuvent en dire beaucoup. Nous savons que Charles Stuart était membre de la Gendarmerie royale du Canada. Les années au bas de la pierre laissent comprendre qu’il était un ancien combattant de la Première Guerre mondiale, aussi appelé en français la Guerre 14-18. L’inscription en latin Pro Patria se traduit comme Pour sa patrie. Donc, Charles Stuart a servi en tant que policier et soldat pour son pays. Ces deux mots en latin me font penser au poème intitulé Dulce et Decorum Est par Wilfred Owen, un soldat d’Angleterre qui est mort une semaine avant la fin de la Première Guerre mondiale. Le poème est en anglais, mais le titre latin se traduit comme Il est bon et juste. Le poème décrit les horreurs que Wilfred Owen voit durant une attaque de gaz toxique. À la fin du poème, le poète critique l’idée que c’est bon et juste de mourir pour son pays. Il appelle cette idée-là « le vieux mensonge. » Cette guerre compte de multiples horreurs : les tranchées, l’utilisation du gaz toxique et les pertes de vie étonnantes. En fin de compte, elle n’a rien résolu (un deuxième conflit à l’échelle de la planète l’a suivi) la Première Guerre à remis en question l’idée de mourir pour son pays. L’idée n’est pas morte, mais nous ne voyons plus les mots Pro Patria sur les tombes ni sur les édifices publics, y compris les écoles, comme au début du siècle précédent. Crédit : Dominique Liboiron)
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Une grande section du cimetière ne comprend que des fosses d’anciens combattants. En plus de cette section-ci, il y en a deux autres. Quand je pense à cette perte énorme de vies, il me vient à l’idée que seuls les enfants de politiciens devraient avoir la permission de devenir soldat. Cela éviterait la guerre. (Crédit : Dominique Liboiron)
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Parfois, j’aime tout simplement regarder les motifs sur les pierres tombales. Dans ce cas-ci, j’ai trouvé que le doigt qui pointe au ciel mérite une photo. (Crédit : Dominique Liboiron)
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Je ne sais pas ce que la demi-lune ou l’étoile symbolisent dans ce cas-ci. Par contre, j’ai l’impression que les gens vivaient autrefois avec une plus grande conscience des symboles. Par exemple, dans certains cimetières, toutes les fosses pointent vers l’est en direction du soleil levant, ce qui symbolise la résurrection. Je trouve que nous avons perdu un peu de cette richesse symbolique, qu’elle soit religieuse ou pas. Je me demande si cela expliquerait du moins en partie pourquoi les gens se font dessiner des tatouages. Peut-être que dans l’absence de gestes symboliques dans notre vie, nous faisons poser des symboles sur notre corps. (Crédit : Dominique Liboiron)
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En termes de symboles, nous en voyons plusieurs sur cette pierre bien taillée. Commençons par l’arche. Sur sa clé de voûte, c’est-à-dire sur la pierre au sommet de l’arche qui tient le tout ensemble, se lit le mot amour. Donc, la symbolique de l’amour est la clé de voûte qui tient tout ensemble. Les piliers qui supportent l’arche sont inscrits avec les mots « vie » et « vérité », soit les fondations de l’amour. Symbole de paix et du Saint Esprit, la colombe accueille le défunt aux portes du Paradis. (Crédit : Dominique Liboiron)
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De nos jours, il est possible de voir assez fréquemment des pierres tombales taillées avec des images qui représentent les intérêts ou la profession du défunt. Des animaux, des camions ou des notes de musique sont communs. Ces fosses sont relativement nouvelles tandis qu’il y a un siècle, ce genre de thème personnalisé était plutôt rare. Par contre, j’ai trouvé une pierre qui date de presque 100 ans avec un avion. C’était la première fois que je voyais un véhicule sur une vieille pierre tombale. Intrigué, j’ai fait de la recherche et sur la page Facebook de la Société historique de Lethbridge j’ai trouvé que le défunt, Ivan Thomson, était pilote. Il est mort à la suite d’un accident de vol. Comme beaucoup de jeunes à l’époque, il était inspiré par la croisée en avion de l’océan Atlantique par le pilote Charles Lindbergh, un exploit que l’Américain a réalisé en 1927. Quant à Ivan Thomson, selon des témoins, il aurait perdu le contrôle de son avion et s’est effondré au sol. Né en 1911, le jeune pilote n’avait que 20 ans. Il avait obtenu son permis de vol en janvier 1931. Son accident est survenu un mois plus tard. Il est le premier pilote de Lethbridge à mourir. Vous avez peut-être remarqué que l’avion et l’inscription sont difficiles à voir. Dans les premières décennies du siècle passé, une sorte de pierre grise semble avoir été populaire pour les pierres tombales. Malheureusement, leurs inscriptions s’effacent au fil des ans; celle-ci dit : « Ivan, beloved son of R.B.C. & Elizabeth Thomson. » (Crédit: Dominique Liboiron)
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Voici un autre exemple de cette pierre grise où l’inscription est difficile à lire. Je ne sais pas pourquoi cela arrive. Même à côté de la fosse, j’arrivais à peine à voir ce qui était écrit. Comme dans l’image précédente, j’ai ajouté beaucoup de contraste à l’image, mais sans pouvoir suffisamment faire ressortir les mots. Une petite fille de deux ans nommée Melba Hutton est enterrée ici. Elle est décédée en 1919. (Crédit : Dominique Liboiron)
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Cette pierre noire est tellement bien polie qu’elle reflète la lumière du ciel. (Crédit : Dominique Liboiron)

Pour terminer, je veux tout simplement dire que les cimetières sont beaux et nous pouvons y apprendre beaucoup. Ils sont comme une galerie d’art ou un musée en plein air.

Je vous invite à partager vos photos avec nous. Prière de les envoyer à dliboiron4@hotmail.com et d’y inclure une courte description.

 

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