Né le 23 juillet 1900 à Holleford en Ontario, M. Babcock a passé les dernières années de sa vie à Spokane, dans l’État de Washington, avec Dorothy, son épouse depuis plus de 30 ans. Il marchait avec l’aide d’une canne, il avait la mémoire vive et portait deux prothèses auditives. Malgré son âge, il gardait la voix forte et grave d’une personne franche et honnête. Je pense à nos conversations aujourd’hui car le 11 novembre marque le 105e anniversaire de l’Armistice qui a mis fin à la Première Guerre mondiale.
M. Babcock n’avait que 14 ans quand son père est décédé. Par la suite, sa mère s’est trouvée un emploi comme domestique en Saskatchewan, mais ses frères et sœurs ont été éparpillés parmi la parenté.
La vie militaire offrait un salaire raisonnable pour l’époque, ce qui a encouragé M. Babcock, mais il s’est joint à l’armée canadienne surtout par un sentiment de devoir. « C’était la chose à faire, » a-t-il dit franchement.
En dépit de son jeune âge, M. Babcock s’est inscrit. Il n’avait que 15 ans et demi. Il a tout simplement menti et a pu déjouer les autorités militaires avant que son commandant ne reçoive une lettre de la Saskatchewan dans laquelle Mme Babcock a dévoilé le vrai âge de son fils.
« Mon commandant est venu me dire, “Je comprends que tu vas nous quitter,» et j’ai demandé pourquoi, » l’ancien combattant m’a-t-il expliqué. « C’est là qu’il m’a dit, «Nous avons reçu une lettre de ta mère,» et j’ai répondu qu’elle ne me disait pas quoi faire. »
John Babcock est resté dans l’armée, mais les autorités lui ont assigné un travail manuel dans des baraques à Halifax. Sachant que l’information se propage lentement dans les bureaucraties, il s’est inscrit de nouveau avec un autre régiment. Cette fois, on l’a envoyé en Angleterre où, encore une fois, on a appris qu’il était adolescent.
M. Babcock n’a pas été puni. Au lieu, il a été placé dans un bataillon avec 1300 gars qui attendaient avoir 19 ans, l’âge minimum pour les soldats canadiens, M. Babcock a subi un entraînement rigoureux, mais n’a pas combattu – la guerre s’est terminée quand il avait 18 ans. Source de chagrin et de regret, le fait qu’il n’ait pas vu le combat l’a attristé pendant de nombreuses années. Mais, avec le temps, sa perspective a changé. « C’est peut-être une bonne chose que je ne me sois pas battu, » a-t-il dit. « Je me serais probablement fait tuer. »
Bien qu’il n’ait pas connu le combat actif, le centenaire a vu au sein de sa famille les ravages de la Première Guerre mondiale. Son frère Manley a fait une crise nerveuse après son expérience au front. Les ressources thérapeutiques et même le terme pour désigner ce qui s’appelle de nos jours le trouble de stress post-traumatique n’existaient pas au début du 20e siècle.
Doté d’une mémoire hors pair et d’une forte intelligence, Manley a étudié à l’Université McGill et s’est tourné vers la religion pour se réconcilier avec son passé difficile. Plus tard, il est devenu évêque de l’Église protestante du Nazaréen.
Même après les difficultés marquées des chefs politiques et des dirigeants militaires à résoudre le conflit qui a duré de 1914 à 1918 et qui a coûté plus de 20 millions de vies, M. Babcock n’a pas perdu espoir dans la classe gouvernante. Selon Dorothy, cet optimisme expliquerait aussi la longévité de son mari qui ne s’inquiétait pas des tournants que lui présentait la vie.
Après la guerre, M. Babcock a immigré aux Etats-Unis afin de recevoir une formation d’électricien. Il s’est marié, a fondé une famille et a géré sa propre entreprise comme entrepreneur mécanique jusqu’à l’âge de 89 ans. Ensuite, il est retourné à l’école; la mort de son père l’ayant obligé à cesser ses études à un jeune âge. C’est à l’âge de 95 ans que M. Babcock a complété son école secondaire avec une moyenne de 90,5 %.
Lors de notre dernière conversation, les guerres faisaient encore des ravages en Irak et en Afghanistan. M. Babcock constatait que les techniques militaires avaient évolué depuis son temps quoique leur but demeure pareil, « Il existe de meilleures façons de tuer les gens sans se faire tuer soi-même, » a-t-il dit. En plus, il ne pensait pas que le conflit armé règlerait le problème ni en Irak, ni en Afghanistan. Nous savons maintenant qu’il avait pleinement raison.
Le gouvernement de Stephen Harper lui avait offert des funérailles d’État, mais il a renoncé par respect aux soldats qui sont morts sans cet honneur. « Oh, ils peuvent avoir des funérailles d’État s’ils veulent, mais pas pour moi, pour d’autres, » a indiqué M. Babcock. À la place, il a demandé une cérémonie en mémoire de tous les anciens combattants, surtout ceux qui ont connu les tranchées.
Et qu’aurait-il dit des conflits en Ukraine et à Gaza? Le dernier ancien combattant canadien de la Première Guerre mondiale aurait probablement dit que les pays doivent mieux dialoguer pour éviter les conflits armés.
M. Babcock est décédé le 18 février, 2010 à la suite d’une pneumonie. Il avait 109 ans.