Nihal et des femmes voilées font partie de l’équipe de Täyybeh travaillant dans la cuisine. Crédit: Pascal Sampiori
Après son arrivée avec sa famille au Canada en 2014 à la suite de la guerre en Syrie, Nihal, qui était consultante avec la Banque mondiale et appuyait des projets centrés sur la promotion des droits de la femme, décide de s’investir auprès des nouveaux arrivants fuyant la guerre comme elle. Elle fait donc du bénévolat en tant qu’interprète dans un petit organisme qui aide les familles avec leur intégration. Ce qui frappe Nihal sans cesse c’est le sentiment de perte de ces familles. Compte tenu de son parcours, elle est interpellée à aider davantage les réfugiées à recommencer leurs vies au Canada avec des projets plus concrets. À cette même époque, elle discute avec un voisin au sujet de la cuisine syrienne comme étant la plus exquise dans la région du Moyen-Orient, mais qui est méconnue dans l’Occident. Son voisin et elle décident donc d’organiser un événement pour faire connaître la cuisine de la région, en invitant quatre femmes syriennes à cuisiner, à faire une soirée de dégustation et un échange avec des familles canadiennes.
Nihal contacte des organismes travaillant avec des réfugiés pour cibler les femmes intéressées au projet et crée un événement sur les réseaux sociaux pour inviter 60 personnes à cette première soirée. En seulement quatre jours, tous les billets sont vendus!
« C’était exceptionnel de voir comment malgré la barrière de langue, tout le monde offrait son support, c’était évident qu’il avait là une bonne recette et qu’il fallait qu’on répète l’expérience. »
Et donc quelques mois plus tard l’expérience est répétée avec les mêmes 4 femmes et, pour ce deuxième événement, la soirée inclut aussi un spectacle musical syrien. Le double de billets est mis en vente et à nouveau tous les billets sont épuisés en un rien de temps!
À partir de ce moment, les pop-up dinners sont répétés à plusieurs reprises et à chaque fois les commensaux sont au rendez-vous!
Vu l’appétit pour ces soirées, en avril 2017 Nihal enregistre Täyybeh comme entreprise sociale qui a pour but d’aider l’intégration de femmes nouvellement arrivées et fuyant des conflits. L’entreprise démarre comme un service de traiteurs avec les mêmes quatres femmes.
Six ans plus tard, et ayant survécu à une pandémie, l’entreprise ne fait que grandir et embauche davantage des femmes qui s’investissent cœur et âme dans cette aventure qui leur permet non seulement de partager la culture syrienne par le biais de la cuisine, mais qui devient aussi une importante source de revenu pour elles et leurs familles. Ceci n’est pas un détail négligeable car pour la plupart de ces femmes l’indépendance économique ne faisait pas partie de leur réalité avant leur immigration au Canada. De plus, pour certaines d’entre elles cet emploi leur a donné le rôle de gagne-pain dans leur famille. Ce grand changement dans leur vie leur amène un énorme sentiment d’épanouissement et de fierté car « elles se sentent membres actives et productives de la société qui les a accueillies et non pas comme un fardeau du gouvernement » m’explique Nihal.
Nihal me raconte aussi que compte tenu de cette expérience si positive, certaines des femmes participant au projet sont enthousiastes à la perspective d’ouvrir un restaurant. Nihal n’ayant aucune expérience préalable en restauration s’est montré un peu réticente pendant quelques années, mais très récemment des changements dans les installations utilisées pour la cuisine, les ont forcées à prendre un nouveau local qui leur donne accès à un espace pour la création d’un restaurant. C’est ainsi que le 1er février 2024, Täyybeh ouvre pignon sur rue, à la grande joie non seulement de l’équipe mais aussi des nombreux fans que Täyybeh a amassé au fil des années.
« Il y avait une grande anticipation de la part de notre clientèle, on a même eu des commentaires de gens qui avaient attendu des années pour pouvoir goûter à nouveau un met goûté à une de nos soirées ou à un événement. »
Car avec les années, les clients des services de traiteurs de Täyybeh compte avec de grands joueurs, tels que la Ville de Vancouver, les deux universités les plus importantes de la grande région de Vancouver ainsi que plusieurs organismes à but non lucratif et quelques grandes entreprises.
L’ouverture du restaurant leur à permis bien sûr d’aller chercher plus de personnel et l’entreprise compte maintenant 25 employées, majoritairement des femmes de la Syrie mais aussi des femmes de la Palestine et de l’Irak.
Täyybeh a une autre particularité qui fait en sorte que le sentiment d’appartenance est encore plus fort: toute l’équipe (à part les livreurs) est purement féminine, ce qui fait en sorte que les employées, beaucoup d’entre elles musulmanes et portant le voile, se sente complètement à l’aise et en sécurité dans cet environnement. Tayybeh leur offre aussi la flexibilité de trouver un équilibre entre la famille et le travail en offrant des horaires flexibles de temps plein ou de temps partiel. Aussi cet environnement en est un où toutes les émotions sont les bienvenues; « la tristesse, la mélancolie, la frustration, car on comprend toutes très bien la difficulté de devoir fuir son pays en situation de guerre ». Dans la cuisine de Täyybeh, on y sent aussi de la gaieté, et le plaisir de pouvoir partager les recettes des grand-mères, et de revivre cette joie quand elles avaient appris à cuisiner un met ou un autre pour la première fois. Ce partage est sans équivoque une occasion de tisser des liens serrés entre femmes qui vivent avec les mêmes réalités et donc facilite leur intégration dans la société.
Täyybeh est un mot arabe feminin qui a deux significations: femme généreuse avec un bon cœur ou encore un délicieux repas. Un mot qui ne pouvait pas mieux englober cette initiative. La vision à long-terme: une chaîne de restaurants à travers la province de la Colombie-Britannique qui donnera la chance a plus de femmes de devenir membres de cette belle famille tout en continuant à partager l’histoire de la résilience humaine des femmes derrière cet exploit!
