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WebOuest À la rencontre de Claudine Potvin, écrivaine et féministe engagée
Claudine Potvin au Salon du livre, Montréal, 2017 | Bowlin Photo
Les Montagnes

À la rencontre de Claudine Potvin, écrivaine et féministe engagée

Par Nathalie Lopez | 17 juin 2022
Cette semaine, j’ai eu l’énorme plaisir de m'entretenir avec Claudine Potvin, écrivaine et professeure émérite à l’Université de l’Alberta, où elle dirigeait le département des études sur les femmes et le genre.

Mme Potvin, une femme remarquable et une féministe engagée, n’a pas la langue dans sa poche. On a donc parlé de son parcours, de ses convictions en tant que féministe, ainsi que de son dernier livre Ficelles et natures mortes qui est une autofiction parue aux Éditions du Blé.

Quand est-ce que vous avez commencé à vous identifier en tant que féministe?

« Je dirais que formellement parlant je me suis identifiée comme étant féministe dans la vingtaine, mais beaucoup plus jeune j’étais très consciente des inégalités entre les hommes et les femmes. J’ai été élevée à la campagne et j’étais la seule fille dans une famille de 10 enfants et la seule à devoir faire les tâches ménagères. Il était évident qu’il y avait deux mesures entre moi et mes frères et je ne trouvais pas ça juste. J’étais très consciente de la domesticité des femmes car je voyais comment ma mère travaillait comme une folle juste pour tenir la maison et s’occuper des enfants, et comme elle en avait eu 10, c’était vraiment une maternité après l’autre. Donc déjà à 15 ans je savais que je ne voulais pas de cette vie pour moi, j’allais partir étudier à l’extérieur et je n’allais pas me marier, ni avoir des enfants. Je savais aussi que je ne voulais pas être infirmière ni religieuse, je voulais une autre sorte de vie, et une forme de liberté. J’ai quand même été très chanceuse car mon père a favorisé mes études autant que pour mes frères et donc je suis allé à l’université même si tout le monde dans le village traitait mon père de fou. 

« J’ai commencé à prendre une position plus engagée en tant que féministe dans les années 70 quand le Québec a connu un émergence de valeurs féministes, et à ce moment là beaucoup d’écrivaines m’ont inspirée dans ma prise de conscience. Plus tard, en tant qu’académicienne, je me suis concentré dans la critique féministe dans la littérature car je voulais donner une visibilité à la voix des femmes. 

« L’optique des femmes dans l’écriture était tout à fait différente de celle des auteurs masculins; les femmes écrivaient sur leur quotidien, l’amour, le corps, la maison. Pour moi c’était très important d’élever ces voix-là. J’étais aussi très consciente du fait qu’il y avait quand même un « boys club » académique, que les hommes se rejoignaient entre eux et excluaient les femmes dans la prise de décision dans le département de littérature. Et du côté de l’équité salariale, rien n’a changé car très récemment des études ont révélé encore une fois que les femmes sont 2 à 3 fois moins bien payées dans les positions académiques que leur collègues masculins. Donc il faut toujours se battre et continuer à prendre une position engagée en tant que féministes.

« Un changement positif que j’ai remarqué par contre, c’est que jadis, il n’y avait pas beaucoup d‘engouement de la part des élèves masculins dans les événements de littérature féministe, ils n’étaient pas intéressés à assister aux conférences et aux colloques portant sur le sujet. Aujourd’hui, ça fait 12 ans que je suis à la retraite et en tant qu’écrivaine, j’ai pu constater que beaucoup plus d’hommes assistent à ce genre d’événements. Il y a donc une évolution au Québec et au Canada. »

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Claudine Potvin devant une étagère de livres en 2011 | Photo fournie par Claudine Potvin

Votre champ d’intérêt à l’Université de l’Alberta était les Études hispaniques et les études comparés. Quelles sont les différences que vous avez remarquées dans le mouvement féministe littéraire en Amérique latine comparativement au Canada?

« J’ai beaucoup suivi le boom latino-américain avec le travail des écrivaines comme Teresa De La Parra, Luisa Valenzuela, Rosario Castellanos. J’ai eu la chance de beaucoup voyager en Amérique latine et j’ai pu constater que les écrivaines en Amérique latine était aussi actives que les Québécoises, mais ne pouvaient pas s’identifier en tant que féministes même si c’était, bien-sûr, sous-entendu, car le mot féministe était en quelque sortes un mauvais mot dans le Sud; le milieu de la littérature comme beaucoup de milieux à ce moment-là était très dominé par le machismo. Cependant, la littérature des femmes bouillonnait et c’était très riche et fascinant et donc la critique féministe de la littérature latino-américaine était une de mes grandes passions. »

Selon vous quelle est l’importance du mouvement féministe de nos jours et sur quoi spécifiquement devrait-on consacrer nos énergies?

« Aujourd’hui ce n’est plus la même sorte de bataille: maintenant les femmes sont entièrement intégrées dans le marché de travail, mais c’est un double job, car les femmes portent tout le fardeau de la charge mentale de la vie familiale. Il faut donc selon moi consacrer nos énergies surtout dans la sphère de la vie personnelle car c’est là que ça se vit… et le public et le privé sont reliés de toute façon; donc si on ne s’affirme pas dans nos vies de tous les jours, on arrivera pas non plus à rejoindre aucune scène publique.

« Et sinon, il n’y a pas de limites dans ce qu’il faut continuer à faire et à contribuer! Je suis toujours ce qui se fait en théorie féministe et mes collègues se consacrent beaucoup sur la culture du viol, les lois et la justice, mais la theorie ne se traduit malheureusement pas en actions dans la sociéte comme on peut le constater avec ce qui se passe aux États-Unis en matières des lois sur d’avortement, ou dans tellement d’autres pays ou les choses changent beaucoup trop lentement pour la condition des femmes, c’est complètement aberrant! »

Parlez-nous un peu sur votre dernier ouvrage « Ficelles et natures mortes » d’où vous est venue l’inspiration de ce livre?

« J’ai voulu raconter ma vie, un peu comme un mémoire, mais j’avais envie de traiter cela en blocs thématiques tels que: les voyages, l’amour, le corps, la dépression et la théorie que j’explore en m’inspirant de Frida Kahlo. Je parle aussi des femmes qui ont marqué ma vie, ma mère principalement, mais aussi mes tantes, ma grand-mère, ma soeur.

« C’est donc une autofiction qui mélange aussi beaucoup les genres et qui a tendance à déborder du côté lyrique. Comme c’est un genre qui n’est pas privilégié par les éditeurs, ça a pris quelque temps avant que ça débloque avec une maison d’édition mais je suis très contente du résultat final car en écrivant des mémoires ça nous permet d’aller plus à l’intérieur de soi-même, c’est un processus qui m’a beaucoup plu. »

Qu’est-ce qui vous attend pour la suite?

« J’ai un autre recueil qui sortira très prochainement et un deuxième roman que j’écris en ce moment pour lequel j’ai reçu une bourse du Conseil des arts du Canada et qui devrait sortir dans 2 ans. 

« Rien n’est encore définitif sauf pour le fait que dans tous mes ouvrages et mes écrits on y trouve toujours une forte piste féministe et ce sera pareil pour ces prochains projets. »

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