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Présence francophone : à la recherche de Linda
Par Murielle Jassinthe | 26 mars 2022
L’errance n’est pas nécessairement synonyme d’égarement; le déracinement peut nous révéler à nous-mêmes de manière fructifère. Lorsque ce qui naît d’une expérience nouvelle génère une exponentielle beauté, chaque étape de l’existence est prometteuse d’aventure.

Ma rencontre avec Isidore Guy Makaya, écrivain et fondateur de la maison d’édition Présence francophone (Yellowknife, T.-N.-O.), dépeint bien cet état de pensée. Humble, Makaya préfère partager son héritage à travers sa plume et les œuvres de ceux dont il veut faire entendre la voix. Toutefois, il a accepté de se confier à moi, afin de révéler une vie, une œuvre, une vision du monde inspirante et prolifique.

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Isidore Guy Makaya
« En fait, je ne voulais pas vraiment faire des études. Moi, tout ce dont je rêvais, c’était de devenir écrivain[...] écrire. »
- Isidore Guy Makaya

Isidore Guy Makaya est né et a grandi à Pointe-Noire, en République du Congo. Il y fait une partie de ses études et, très tôt, rêve de devenir écrivain. Il décide d’émigrer vers l’Europe, afin d’avoir accès aux bibliothèques et à un plus grand éventail de possibilités universitaires. En effet, le régime marxiste-léniniste de l’époque limite les avenues étudiantes au-delà de la licence et de la maîtrise. Makaya caresse un amour pour la psychologie. Comme la seule façon de pratiquer dans le domaine aurait été de l’enseigner, il fait donc des études de droit, malgré lui, jusqu’à la maîtrise.

En 1992, il part à Nancy (France) pour faire un diplôme d’études approfondies en droits publics et sciences politiques. La guerre civile ayant éclaté au Congo, en 1997, il décide de rester en France, y prend femme et fonde une famille. Il vit et travaille à Paris puis, contraint par un contexte économique difficile, il émigre à Barcelone (Espagne). Stimulé par le goût de l’aventure et de la liberté, il y vit de 2000 à 2005.

Cependant, le sentiment de pouvoir se réaliser lui manque. En lui se propage l’impression de vivre dans la peau d’un autre. Aussi, il part pour Toulouse et, interpellé par une annonce de la délégation canadienne à Paris, il décide d’émigrer au Canada pour raison professionnelle. Il arrive à Montréal en juin 2005. Il fait une maîtrise en enseignement de l’histoire, à l’Université de Sherbrooke, afin de subvenir aux besoins de ses enfants. Elle porte sur l’histoire des conflits dans l’Arctique au 17e siècle et son application dans l’enseignement au secondaire au Québec. Puis, il fait un doctorat en droit international de l’environnement, sur le statut juridique de l’Antarctique. Ayant touché aux deux pôles, il semble qu’il ait été destiné à migrer vers le Nord.

En 2010, un faux diagnostic de cancer l’amène à interrompre son doctorat et, ainsi, à se questionner de nouveau sur la nécessité d’une profusion de diplômes pour subsister au Canada. C’est dans cet état d’esprit qu’il décide de réaliser son rêve et de se « retirer de la conformité ». Makaya n’a plus rien à prouver à personne si ce n’est à lui-même. Il se retire donc de l’orgueil et des attentes sociales. Pour celui qui se demandait ce qu’il allait laisser à la postérité, sa vision est limpide : le témoignage d’une vie.

Audio: La postérité (41 sec.)

Écrire parce qu’on existe

Le goût de la liberté, d’écrire, est plus fort que tout. Il le mène à la solitude qui demeure essentielle à l’écrivain. Cette solitude l’amène à s’interroger sur son identité. Elle le pousse à observer le monde avec, toujours, cette curiosité interrogative. « Je me suis toujours posé la question de qui je suis », me révèle Makaya. Comme dans les Essais de Montaigne, il est le témoin de sa propre vie, qu’il consigne méthodiquement dans ses journaux intimes depuis plusieurs décennies.

S’étant toujours questionné sur sa venue sur terre, sur la raison même de son existence, il se comporte comme un anthropologue. Il note ses découvertes et réflexions, dans un va-et-vient entre l’environnement et lui-même. Ayant vécu dans des sociétés tout à fait différentes, le dénominateur commun reste son être. Aussi, il se dissèque lui-même, ce qu’il vit et ressent. L’important n’étant pas tant de faire de la littérature, mais de laisser un témoignage.

« C’est comme une conscience ouverte sur le temps et puis l’espace...et moi je note. »
- Isidore Guy Makaya

Makaya, n’aime pas la cristallisation de l’identité; il a vécu dans des identités multiples. Étant au Congo, il se sentait étranger chez lui. En France, même après y avoir vécu 8 ans, il se sentait étranger, car il y restait un immigré. Une fois en Espagne, il était considéré comme Africain, bien qu’il n’ait pas habité le continent depuis longtemps et que, par conséquent, l’identité française se révélait davantage. Enfin, polyglotte, l’ensemble des langues qu’il manie le fait entrer dans une multiplicité de mondes, de cultures et d’identités.

C’est dans les rêves que ses mondes se fondent pour créer l’univers de Makaya. Rêvant à profusion, son expérience de la vie se consolide et donne à voir la cartographie de ses chimères. De l’étendue d’une utopie qu’il concrétise par les mots, le jour venu. « C’est comme une conscience jumelle », souligne Makaya. Ainsi naissent ses rêves, pour ne pas employer le terme « poème », boite dans laquelle il ne veut pas se confiner. Il n’a jamais publié ses journaux, mais plutôt les vers, contes ou récits qui s’imposent à lui.

Trouvant malaisé de vivre avec les humains, pour Makaya l’important est d’avoir la liberté de s’exprimer. Il confesse que la suspicion que suscite le regard ouvert de l’écrivain, peut contraindre la voix de l’être. Cependant, il reste toujours à la recherche d’une identité qu’il n’a jamais trouvée. Son identité, tout comme ses sujets d’inspirations, évolue au fil du moment présent. Makaya se découvre au moment même où il écrit. Caractérisé par une ex-compagne comme un « shampoing 3 en 1 », il est le narrateur qui fait entendre son point de vue, le protagoniste qui embrasse l’action et le scribe qui en dévoile l’expression.

À la recherche de Linda

Ne sommes-nous pas tous, d’une certaine manière, à la recherche de la féminité ou de son pouvoir créateur? De nombreux voyages ont trouvé leur raison d’être dans sa poursuite. Que ce soit Ulysse dans l’Odyssée d’Homère qui, au sortir de la guerre de Troie, met 10 ans à revenir auprès de sa femme Pénélope, afin de la défendre contre ses prétendants. Pensez à Hélène, la cause même de cette guerre, qui est enlevée par Pâris de Troie, car il en tombe amoureux. Le roi de Sparte, son époux Ménélas, déclenche alors la guerre n’ayant pour seul but que de la retrouver. Tous sont hantés par le désir de revenir vers le pouvoir ensorcelant de la liberté, si souvent représentée par une femme. Elle intime au courage et au déracinement; elle mène à parcourir le monde pour s’en saisir ou la protéger.

Cette femme prend bien des formes et, pour Makaya, elle porte le prénom de Linda. Linda, dont le nom lui a été révélé en rêve. C’est ce qui le pousse, en 2016, à acheter un billet d’avion pour Yellowknife pour s’y établir. Il laisse ainsi Montréal, comme on quitte une ancienne amante, c’est-à-dire sans rancœur, mais avec le désir d’explorer d’autres contrées.

Audio: À la recherche de Linda (5 m 07)

Il prend conscience qu’il n’y a pas de maisons d’édition francophones à Yellowknife. Ayant déjà publié trois œuvres, dont Le cas Massoko qui gagne le prix Radio-Canada dans la catégorie nouvelle, il se dit qu’il pourrait utiliser son expérience du milieu du livre pour y remédier. Ainsi, sa rencontre avec Linda le mène à la création ultime : Présence francophone. Makaya se retrouve  à non seulement embrasser sa carrière d’écrivain, mais aussi à faire naître les fruits de la culture franco-ténoise, et ainsi, participer à sa vitalité.

C’est ainsi que naît la maison d’édition Présence francophone, qui depuis sa création, en 2017, a publié plusieurs œuvres d’Isidore Guy Makaya, mais également des œuvres de membres de la communauté francophone et francophile du territoire. Plusieurs membres de la communauté franco-ténoise font également partie intégrante de l’équipe menant bénévolement et à bout de bras ce projet audacieux. Présence francophone a notamment publié la pièce de théâtre du dramaturge Xavier Lord-Giroux, Les préliminaires. Elle a aussi mis à son catalogue le recueil de poésie, Euphoriae, de l’adolescente Séréna Jénna. Ce recueil de poésie comportant tant des poèmes en anglais qu’en français, représente bien la francophonie en milieu minoritaire qui, multiforme, arbore maintes facettes de son identité.

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Langue et identité

Les langues étant partie intégrante d’une culture et de l’identité des gens qui s’y déploient, il apparaît que la langue maternelle reste une part indétrônable de l’être, au même titre que les autres langues qui ont soutenu le développement de l’identité. C’est ce qui amène Makaya à publier en français, le premier tome de Notre langue à nous et dont le deuxième tome sortira dans un an. Ce livre traite des principes de grammaire de sa langue maternelle, le civili (www.lalanguefrancaise.com/vili), afin de préserver cette langue orale qui ne connaît pas encore d’expression écrite. Je dis bien « encore », car c’est le rêve que caresse Makaya, voir sa langue maternelle préservée par l’écriture.

Audio: Notre langue (6 m 39)

Privilégiant à la base la publication d’œuvres issues des Territoires du Nord-Ouest, Présence francophone compte toutefois étendre la portée de la maison d’édition. En effet, Makaya et son équipe désirent ouvrir leurs horizons vers l’ensemble du Canada, ainsi que l’international, sous certaines conditions. Son rêve, avoir davantage de collaborateurs, afin de produire une variété de genres différents. C’est cette diversité qui lui permettra d’obtenir le financement nécessaire pour que Présence francophone assure sa pérennité autrement que par les deniers puisés dans les poches de ses bénévoles passionnés. De plus, respectueuse du milieu où elle œuvre, la maison d’édition publiera des ouvrages « bi-langues », c’est-à-dire en français et en anglais, ainsi qu’en français et en langues autochtones. C’est ce à quoi rêve Makaya pour Présence francophone: voir sa vitalité se déployer. Alors, souhaitons qu’elle le fasse au rythme du fleurissement de la postérité de son fondateur. Ce rêveur nomade qui, toujours, demeure à la poursuite de soi.

Publications d’Isidore Guy Makaya

2010 – Le cas de Hyène, Éditions Dédicaces (conte)

2010 – La légende de N`tu Saanda, Éditions Dédicaces (récit)

2010 – Le cas Massoko (nouvelle, Prix littéraire Radio-Canada)

Publications de Présence francophone

2017 – Mémo de mes maux en mes mots, Isidor Guy Makaya (poésie)

2018 – Notre langue à nous : prospective pour une grammaire structurée de la langue cìvili / [tome 1] (essai)

2018 – La fortune du bonjour, Isidor Guy Makaya (conte)

2020 – Les délires silencieux, Isidor Guy Makaya (poésie)

2022 – Issi létrangé àtor!, Isidor Guy Makaya (histoire vécue)

2022 – La p’tite garderie des hyéneteaux, Isidor Guy Makaya (conte)

Autres auteurs :

2020 – Euphoriae, Séréna Jénna (poésie)

2021 – Les préliminaires, Xavier Lord-Giroux (théâtre de chambre)

Photo en haut de page: Yellowknife, James_Gabbert
La francophonie du Nord et de l’Ouest habite sur des territoires visés par de multiples traités avec les peuples autochtones ainsi que des territoires non cédés. Ces peuples ont accueilli les premiers francophones et les ont aidés à survivre et prospérer. C'est dans le respect des liens avec le passé, le présent et l'avenir que nous reconnaissons la relation continue entre les peuples autochtones et les autres membres de la communauté francophone. Au-delà de cette reconnaissance, WebOuest s’engage à mettre en lumière des histoires des peuples autochtones qui habitent toujours ces terres.