Divertir, Découvrir, Enrichir
WebOuest Koromousso – Grande soeur: le courage de se reconstruire
Trois femmes debout ensemble dont la réalisatrice Habibata Ouarme et Safieta Sawadogo. Crédit: Office national du film du Canada (ONF)
Les Montagnes

Koromousso – Grande soeur: le courage de se reconstruire

Par Nathalie Lopez | 6 mars 2024
Ce mois-ci j’ai eu l’honneur de m’entretenir avec Habibata Ouarme cinéaste canadienne d’origine ivoiro-burkinabée pour parler de son film « KOROMOUSSO - Grande sœur » coréalisé par Jim Donovan et produit par l’Office nationale du film du Canada (ONF).

J’ai regardé ce film sur le site de l’ONF et je dois dire que même si cela porte sur un sujet assez difficile – les mutilations génitales féminines et excisions (MGF / E) – c’est un film qu’il faut absolument voir.

On y suit trois femmes, dont Habibata, qui, de façon très courageuse, choisissent de briser les tabous culturels sur la sexualité féminine et se soutiennent entre elles pour surmonter les conséquences traumatiques de l’excision et se réapproprier leur corps.

J’ai d’abord demandé à Habibata pourquoi elle avait choisi ce titre. Elle m’explique que Koromousso signifie « grande sœur » en Côte d’Ivoire. Selon elle, au-delà du fait qu’un enfant a besoin d’un village pour l’élever, une fille a aussi besoin d’une Koromousso pour lui tenir la main. 

Elle m’explique aussi l’importance accrue de pouvoir se soutenir et se tendre la main en tant que femmes racisées et immigrés au Canada. Plus encore quand il s’agit de femmes qui ont subi des violences sexuelles, telles que les MGF / E pour non seulement s’entraider mais aussi pour veiller l’une sur l’autre et avoir ce rôle de protectrice. 

Le titre n’aurait pas pu être mieux choisi puisque ce film nous permet par le biais de cette grande soeur (Habibata) d’avoir une porte d’entrée dans la vie de deux autres protagonistes et d’aborder avec une grande sensibilité, de façon très intime et candide, l’impact des MGF/E tant sur sur leur corps, leur estime de soi que leur rapport à la sexualité. Malgré ces expériences extrêmement traumatisantes et douloureuses, le film cherche à surtout mettre en valeur la force et le courage de ces femmes qui malgré les difficultés revendiquent le droit de se réapproprier leur corps et leur bien-être.

WebOuest
Habibata et une petite fille assise sur le tronc d’un arbre Crédit: Office national du film du Canada (ONF)

Dans cette quête de grande importance, Habibata prend ce rôle de Koromousso, cette protection, cette bienveillance et cet accompagnement envers une « petite sœur » spécifique qui décide de rentrer au Burkina Faso pour se faire une chirurgie et entreprendre une démarche réparatrice, chose qui n’est pas offerte au Canada.

J’ai ensuite demandé à Habibata ce que ce film représente pour elle personnellement. 

Habibata m’explique que ce film est à la fois une conclusion d’une lutte qu’elle mène contre les MGF en tant qu’activiste depuis 2006 et d’un autre côté il représente un nouveau départ.

Ce cri qu’elle avait depuis si longtemps et qui grandit en elle depuis tant d’années et et est finalement exprimé dans ce film qui se veut un départ vers une autre façon de faire, une autre façon de lutter contre l’éradication de l’excision et d’autres violences sexuelles faites au femmes. Ce nouveau départ lui permet maintenant d’utiliser le film comme outil d’éducation et sensibilisation pour ce combat de vie qu’elle n’est pas prête à laisser. Ce film, elle le considère comme son bébé qui lui permettra de continuer à se battre en tant qu’activiste toujours, mais avec une nouvelle corde à son arc.

Je lui ai aussi demandé ce que le film a representé pour les deux autres protagonistes du film dont Safieta, la femme que Habibata accompagne en Afrique pour qu’elle reçoive sa chirurgie réparatrice. Selon elle, le film est aussi un cri du cœur pour ces femmes, qui leur a permis de dire ce qui ne va pas tout en offrant au public une prise de conscience: le problème transcende les cultures et cette lutte n’appartient pas seulement qu’aux femmes racisées. 

Il faut que la société prenne conscience qu’il s’agit d’un problème de santé publique. On ne peut pas juste regarder ailleurs et ignorer que le Canada est un pays d’immigrants. Si on veut que les femmes immigrées participent activement à la société et s’intègrent à part entière, cela exige des services adaptées à leurs besoins.

Malheureusement, il reste encore un bout de chemin à faire pour changer les mentalités des gens et pour pouvoir ainsi comprendre que ce problème cause une souffrance humaine et qu’il nous faut collaborer ensemble afin que les femmes victimes de MGF puissent être bien et en santé dans toutes les sphères de leurs vies de façon à s’épanouir et contribuer à la société pleinement.

Aussi, j’ai voulu en savoir un peu sur la stratégie de diffusion du film et l’accueil que celui-ci reçoit en général, et plus spécifiquement dans les communautés africaines.

Habibata m’explique que l’ONF s’occupe des diffusions communautaires et que le film fait son bout de chemin. Habibata est déjà très contente du fait que le film a eu beaucoup de succès en tant qu’outil de sensibilisation utilisé par divers organismes. La réalisatrice a la chance de participer à beaucoup de discussions qui s’organisent autour du film; et même si elle ne peut pas être présente à tout ce qui se fait, elle trouve que l’ONF fait un travail formidable. Pour elle c’est extrêmement gratifiant car elle souhaitait que le film soit vu en communauté.

En ce qui à trait l’accueil dans la communauté africaine, c’est sûr que le film secoue et peut être perçu comme accusateur, mais que le travail de prise de conscience se fait progressivement, lentement. Par contre, le fim suscite aussi des réactions fortes et sert à éduquer et à dénoncer cette violence de genre.

Habibata Ouarme souhaite que son le film puisse continuer à circuler et qu’il permette des conversations honnêtes allant jusqu’à influencer les politiques du pays, en prenant les séquelles des mutilations génitales féminines et excisions au sérieux, en le traitant comme le problème de santé public qu’il constitue. 

On ne peut pas nier que la mixité culturelle fait partie importante du Canada, donc il va de soi que l’échange culturel qui en découle amène aussi un bagage culturel et que, comme société, on est censé pouvoir l’accueillir. Cela veut dire concrètement, pouvoir fournir des services de santé adaptés aux réalités des trop nombeuses femmes victimes de ces violences sexuelles. La réalisatrice espère que le Canada puisse s’inspirer de modèles qui existent déjà ailleurs, tel qu’en Belgique où l’on offre des services holistiques en soutien aux femmes victimes de violences sexuelles, tant au niveau médical que psychologique, et le tout dans un espace sécuritaire. Tout ce qu’il faut pour mettre en place des systèmes similaires c’est une volonté politique pour débloquer des fonds car l’expertise médicale pour appuyer les femmes victimes de MGF / E commence à être développée au Canada, tel qu’en témoigne la présence dans le film de la Dre Angela Deane qui milite aussi dans cette direction.

Pour moi le film a une force extraordinaire car il est raconté tout le long à partir du regard d’une femme qui a vécu en chair et en os tout ce traumatisme, qui a su prendre cette épreuve et la canaliser pour non seulement changer le cours de sa vie mais pour devenir une activiste et une Koromousso pour d’autres femmes. 

On estime qu’actuellement 200 millions de filles et de femmes ont subi des MGF, mais les taux sont en hausse du fait de la croissance démographique mondiale.

Koromousso – Grande soeur peut être visionné gratuitement sur le site de l’ONF et sera présenté à la bibliothèque Frances Morrison à Saskatoon le 9 mars, suivi d’une discussion avec la co-réalisatrice.

 

La francophonie du Nord et de l’Ouest habite sur des territoires visés par de multiples traités avec les peuples autochtones ainsi que des territoires non cédés. Ces peuples ont accueilli les premiers francophones et les ont aidés à survivre et prospérer. C'est dans le respect des liens avec le passé, le présent et l'avenir que nous reconnaissons la relation continue entre les peuples autochtones et les autres membres de la communauté francophone. Au-delà de cette reconnaissance, WebOuest s’engage à mettre en lumière des histoires des peuples autochtones qui habitent toujours ces terres.