
De retour d’un weekend à Toronto en juillet, Julienne explique qu’elle avait été marquée par le fait que la majorité des gens de sa communauté rencontrés sur place était des enseignants. Deux mois plus tard, en discutant avec une nouvelle arrivante du Sénégal, cette dernière lui avait confié vouloir s’inscrire pour un baccalauréat en éducation au Campus Saint-Jean. J’ai aussi fait le même constat et j’ai fini par comprendre les raisons et les motivations donnant lieu à cette situation.
En arrivant dans une région anglophone, les francophones ont naturellement très peu de perspectives en termes de formation et de perfectionnement de compétences. Ils ont pour la plupart des défis pour s’informer et communiquer en anglais. Leurs principaux recours sont leurs proches (parents, amis ou ex-collègues) établis avant eux au Canada et parfois les organismes d’établissement et d’employabilité francophones.
Ces anciens immigrants sont pour eux un exemple crédible. « Il est évident qu’il est plus facile de suivre un chemin déjà parcouru par un proche, qui sert en même temps de mentor, que de vouloir explorer de nouveaux horizons sans repères », a argumenté Pascal venu du Togo lors d’une discussion sur le sujet.
Il est commun de voir que dans les communautés ethnoculturelles, certains corps de métier sont plus prédominants que d’autres. On entend souvent dire que les immigrants de l’Afrique de l’Est font le taxi ou travaillent dans la boucherie, ou que les immigrants de l’Afrique de l’Ouest s’orientent beaucoup plus vers l’éducation. Bien que quelques-uns aient des ambitions de faire reconnaître leurs diplômes et de se perfectionner dans leur domaine professionnel d’origine, ils finissent par déchanter face à la réalité d’un processus long et complexe.
Par ailleurs, l’offre de formation en français de l’université du Campus Saint-Jean, l’antenne francophone de l’université de l’Alberta, est majoritairement dominée par l’éducation, la petite enfance et les soins infirmiers. Ce sont notamment des corps de métiers qu’on retrouve dans les communautés ethnoculturelles francophones.
J’ai fini par comprendre qu’il s’agit d’un choix de raison et de circonstances pour ces nouveaux immigrants francophones. Et dans le fond, même s’il y a d’autres alternatives, il faut relever que cela demande beaucoup plus de temps, pour faire une mise à niveau en anglais, puis suivre une formation diplômante à l’université ou dans un collège avant de se lancer dans la recherche d’emploi.
S’il est plus facile d’obtenir un emploi en tant qu’éducatrice à la petite enfance ou de préposé aux soins, cela l’est moins pour les enseignants francophones noirs. Sur l’ensemble des écoles du Conseil francophone d’Edmonton, le nombre d’enseignants noirs est très peu élevé. D’un autre côté, on remarque un nombre croissant d’élèves de la même origine.
C’est une réalité que nous avons décriée en 2014 tambour battant et qui a entraîné la création de l’organisation Francophonie Albertaine Plurielles (FRAP).
Six ans plus tard, les choses n’avaient pas beaucoup changé. Un autre organisme en a fait écho, sans réussir à faire bouger les choses considérablement. Aujourd’hui encore, de nombreux enseignants font des remplacements ou se voient obligés d’aller en zone rurale pour obtenir un poste permanent lorsqu’ils réussissent à obtenir leur baccalauréat en éducation; de plus, nous entendons de plus en plus de potentiels enseignants se plaindre qu’ils sont recalés à tort pendant leur stage de fin d’études. Une affaire à suivre…