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WebOuest Bannir la revente de la fast fashion: éco-responsable ou éco-blanchiment?
Photo: capture d'écran YouTube, Vestiaire Collective

Bannir la revente de la fast fashion: éco-responsable ou éco-blanchiment?

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Par Joëlle Preston | 24 novembre 2023
Des prix très bas, des renouvellements fréquents des collections, une large gamme de références, des périodes de promotion intensives et fréquentes et un cycle de production rapide: voila les cinq critères, selon Vestiaire Collective, qui distinguent les marque de vêtements fast fashion, et qui ont pour conséquence d’être bannis de leur plateforme de revente.

En novembre dernier, Vestiaire Collective a annoncé un plan de 3 ans visant à bannir la revente de marques fast fashion sur leur plateforme. Cette année, lors d’une campagne marketing associée au vendredi noir, l’entreprise française de revente spécialisée en produits de luxe a ajouté des boutiques de vêtements à sa liste de marques interdites: « Cette année, Vestiaire Collective a décidé d’exclure définitivement 30 nouvelles marques, dont les plus connues H&M, Zara, Uniqlo, Mango, et Gap. » Le raisonnement? Dans une lettre signée par les fondatrices, l’exclusion de ces marques serait une conséquence de leur surproduction, ainsi que de leurs contributions au volume de déchets textiles global: « Chaque année, l’industrie de la mode produit plus de 100 milliards de vêtements. Zara et H&M produisent à elles seules plus d’un milliard de vêtements par an. Comme nous consommons plus et portons moins, 92 millions de tonnes de déchets textiles sont jetés chaque année, la plupart provenant des marques de fast fashion. »

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Vidéo promotionnelle de Vestiaire qui affiche les marques nouvellement bannies de leur plateforme à Times Square, des vêtements qui tombent du ciel. Le panneau se lit ainsi: « Et si les déchets textiles issus de la fast fashion... finissaient au pas de votre porte? » Photos: captures d'écran YouTube, Vestiaire Collective

Accompagné d’une courte vidéo de vêtements fast fashion qui tombe du ciel, cette déclaration osée fait certainement jaser les internautes. Mais malgré des intentions honorables et progressives, l’initiative ressemble à un coup de marketing (plutôt réussi) plus qu’autre chose; le problème avec leur nouvelle politique c’est qu’elle ne fait rien contre les deux problèmes cités.

Premièrement, il y a le problème de la surproduction. En tant que plateforme de revente, Vestiaire se donne un objectif presque irréalisable car elle ne produit absolument rien. Cette politique de revente n’aura aucun impact sur la production de masse de vêtements. Deuxièmement, il y a l’abondance de déchets textiles. Selon Vestiaire, 3 vêtements sur 5 qui se retrouvent au dépotoir provient de la fast fashion, un problème souligné dans la politique de Vestiaire. Le slogan de la campagne serait « seconde-main ou rien ». Il me semble que bannir la revente de ce qu’on veut éliminer des décharges ne fera que solidifier leur destin, et ainsi augmenter leurs probabilités de finir dans un dépotoir?

De plus, je trouve la définition des marques fast fashion assez élitiste. Les grandes marques de luxe sont responsables pour toutes les tendances saisonnières, qui contribuent au problème de surproduction, et sont autant coupables de pratiques non éthiques et polluantes. La définition semble suggérer que des prix plus élevés, par exemple, veulent forcément dire que les vêtements sont de meilleure qualité, plus éco-responsable ou éthique, et donc qui méritent d’être revendus. Essentiellement, la définition de Vestiaire ne fait que définir la « marque grande surface, bas de gamme. »

Là où je suis d’accord avec la lettre des fondatrices par contre, c’est que « le modèle de la seconde main est différent et incontestablement meilleur » en ce qui concerne la mode éco-responsable. Comme je l’ai souvent répété dans mes articles, les vêtements de seconde-main sont tous égaux au point de vue éco-responsabilité car ils existent déjà. La marque, la provenance, les méthodes de production, les fibres… tous des éléments importants pour une marque éthique et durable ont beaucoup moins d’importance car leur destin est limité à la réutilisation, le recyclage ou le dépotoir. Ce qui est important, c’est de prolonger la vie utile du vêtement le plus longtemps possible. À mon avis, en tant que plateforme de revente, leur rôle dans l’écosystème de la mode devrait être avant tout de prolonger la vie des vêtements – pas de juger ce qui mérite d’être revendu ou pas.

Néanmoins, je comprends comment la nouvelle politique pourrait être un premier pas dans la bonne direction. Vestiaire essaie d’inspirer les autres joueurs de l’industrie de la mode à être audacieux dans la transition vers la mode écologique. Bien que militer contre les productions fast fashion est un enjeu que j’encourage de poursuivre, il faudrait s’occuper du problème à la source et se pencher sur une définition honnête de ce qui caractérise une marque qui n’est pas éco-responsable (au lieu de juste blâmer la fast fashion). Sans reconnaître le rôle des marques de luxe et des plateformes de revente dans la surproduction et la surconsommation, simplement montrer du doigt les marques fast fashion bas de gamme me semble être qu’une autre tactique d’éco-blanchiment qui renforce leur association aux marques de luxe

 

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