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WebOuest The Living Things International Arts Festival : Se débarrasser des frontières
Photo tirée du site livingthingsfestival.com

The Living Things International Arts Festival : Se débarrasser des frontières

MÜLTIMÉDIART
Par Murielle Jassinthe | 21 mai 2022
Ce qui définit la nature de l’artistique a été l’objet de presque autant de réflexion qu’il existe d’œuvres d’art. Est-ce la propension à savoir manier les canons et techniques propres à un médium ou plutôt la capacité à s’en jouer, à les triturer, jusqu’à en faire les outils d’une vision propre? Ne serait-ce pas plutôt les deux, car pour transgresser une loi, il faut la connaître. Car, ce qui demeure propre au fantasme artistique, est la volonté de dépasser les frontières de son médium, d’en caresser un autre par différents moyens et, bien sûr, de détruire le 4e mur. Ce souci d’interpeller le public, d’échanger avec lui et de le faire participer à l’œuvre d’art reste une obsession qui jamais ne s’éteint. L’art est le canevas d’un jeu qui se joue à plusieurs.

Lorsque je m’entretiens avec Neil Cadger, directeur artistique du Living Things International Arts Festival de Kelowna, il m’apparaît tout de suite que cet homme a su poser les jalons entre théorie et pratique. En effet, également professeur associé de performances interdisciplinaires du département des Creative Studies – UBC Okanagan, il allie pensée et arts de manière à ouvrir les voies de la performance vers l’improbable, l’inusité, l’éphémère.

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Neil Cadger / Gracieuseté de Neil Cadger

Mon intérêt pour ce festival n’est pas seulement lié à la pratique interdisciplinaire, mais aussi au fait que la 6e édition du Festival (14 au 30 janvier 2022), a accueilli des artistes francophones nationaux et internationaux. Partenaire du Centre culturel francophone de l’Okanagan, le Festival abrite les arts sans discrimination identitaire. Le seul passeport de mise : celui de la planète ART. Aussi, la troupe Elvis Alatac (France) et Laurence Petitpas (Québec) y ont posé le pied pour respectivement présenter Il y a quelque chose de pourri (Something Is Rotten) et Mutatis Mutandis.

Cependant, avant de plonger dans l’univers de ces deux artistes, il serait bienvenu d’explorer le contexte de diffusion de ces œuvres, afin de mieux y goûter.

L’art, église séculaire

J’ai beaucoup aimé la façon dont Cadger effectue un rapport entre l’interdisciplinarité artistique et le contrat social qui lie tous les êtres humains. L’interdisciplinarité utilise les caractéristiques de certains médiums artistiques dans l’espace de création et de diffusion d’un autre médium, afin de raconter une histoire ou plutôt de donner à voir. De cette union bigarrée naît l’improbable intersection du possible. Une fois en contact avec l’œuvre artistique, le spectateur ne sait pas toujours ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. En fait, il ignore même où regarder. Le malaise est palpable comme lors d’un premier rendez-vous. C’est par la rencontre de l’autre que se tisse les conditions de cet échange. Car c’est d’un échange dont on parle; d’un changement de paradigme on ne peut plus bienvenu. L’intimité ou du moins le désir naît de l’entre-deux, de l’espace que permet l’intersection de deux univers.

Extrait d'entrevue de Murielle avec Neal Cadger

Voix au chapitre

L’installation en provenance des États-Unis, Capitalism Works for Me! True/False, de Steve Lambert, est un bon exemple d’une rencontre avec le public qui lui donne voix au chapitre. À travers le vote, le spectateur se retrouve acteur et, par le biais de ses opinions et expériences, interagit avec l’installation. Des artistes, professeurs d’université ainsi que des gardiens des connaissances traditionnelles autochtones les aident à prendre une décision dont les ramifications sont plus complexes qu’il n’y paraît. Bref, le choix qui nous incombe à tous quotidiennement, bien souvent à notre insu.

Extrait d'entrevue de Murielle avec Neal Cadger

Il y a quelque chose de pourri

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Image tirée du dossier de présentation du spectacle de théâtre d’objets « Il y a quelque chose de pourri »

Venu de France, la compagnie Elvis Alatac synthétise en 60 minutes l’œuvre dramatique Hamlet, le classique de Shakespeare, ayant à la base une durée de quatre heures. Ce théâtre d’objets clownesque nous fait plonger dans un bric-à-brac de maladresses, sons et musiques qui, tant bien que mal, tentent de raconter une histoire qui n’a de cesse de s’interrompre. Ce spectacle, c’est « une volonté de popularisation des grands classiques qui anime cette création originale et qui n’hésite pas à puiser dans les références cinématographiques afin de toucher du doigt le drame et malaxer le rire du public. » L’art clownesque n’ayant pas de frontière, l’essentiel se révèle à travers le corps et le non-verbal.

Mutatis Mutandis

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Images du spectacle Mutadis Mutandis

La première du spectacle Mutadis Mutandis est la concrétisation de près de 5 ans de travail pour Laurence Petitpas. Invitée à Kelowna dans une résidence artistique précédent les représentations, cette expérience s’est déroulée pour elle comme dans un rêve. L’accueil du public fut des plus chaleureux. Son spectacle ayant une forme assez ouverte, n’étant ni linéaire ni récit, ce sont des marionnettes de grands formats qui sont au cœur des images qui sont proposées au public, qui s’assemblent et se répondent. Comme Petitpas le souligne « c’est un spectacle qui prend ancrage dans les abysses, mais dont je m’inspire librement ». Ce sont des créatures inspirées du réel, mais librement dépeintes. Elles sont en contact avec le monde réel ainsi qu’à notre rapport à l’eau. La thématique aqueuse se retrouve aussi dans le paysage sonore, création de Vincent Thériault. Cette bande sonore en direct est interprétée sur scène avec des objets du quotidien. Entre surréalisme et quotidien se déploie Mutatis Mutandis.

À The Living Things, l’intersection se fait bien sentir de toutes parts! En effet, Laurence Petitpas ayant eu besoin d’un aquarium d’une dimension bien précise, le choix était limité. Aussi, celui que Neil Cadger lui a déniché comprenait… également des poissons! Le nom du festival « The Living Things » semble prendre ici tout son sens. Le public fait partie du jeu, tout comme ces créatures aquatiques inopinément devenues actrices du spectacle qui désormais ne se voit plus se passer d’elles.

The Living Things International Arts Festival est un lieu où l’expérience humaine se fait voir et des questions se posent. Ici, l’humain se retrouve à l’intersection de deux êtres, celui qui s’est aventuré dans ce monde de possibilités et celui qui en ressort. Ce qu’il y trouve? Ce que chacun y a laissé.

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SUR LA PISTE

The Collective Body 3: 

« The Collective Body (TCB) est un projet audio/vidéo transdisciplinaire qui propose de saisir les circonstances de la vie en isolement pendant le Covid-19. En utilisant les technologies de communication actuelles comme métaphore centrale, les artistes s’enregistrent séparément: les danseurs réalisent des vidéos de parties spécifiques du corps, puis les musiciens répondent par des enregistrements, qui sont envoyés à d’autres danseurs, qui répondent ensuite par des vidéos, qui sont envoyées aux musiciens…. et le modèle d’émergence simultanée, semblable à un rhizome, se développe […] » [traduction libre du site internet]

The Living Things :

Laurence Petitpas:

Elvis Alatac :

La francophonie du Nord et de l’Ouest habite sur des territoires visés par de multiples traités avec les peuples autochtones ainsi que des territoires non cédés. Ces peuples ont accueilli les premiers francophones et les ont aidés à survivre et prospérer. C'est dans le respect des liens avec le passé, le présent et l'avenir que nous reconnaissons la relation continue entre les peuples autochtones et les autres membres de la communauté francophone. Au-delà de cette reconnaissance, WebOuest s’engage à mettre en lumière des histoires des peuples autochtones qui habitent toujours ces terres.