Michelle Smith vient juste d’obtenir un prestigieux prix du Gouverneur Général, le Prix Ramon John Hnatyshyn pour le bénévolat dans les arts du spectacle; son parcours jusqu’à l’obtention de cette distinction mêle à la perfection vie associative et carrière professionnelle.
À l’âge de 14 ans, Michelle fait ses premiers pas sur les planches, via le Festival théâtre jeunesse. C’est un enseignant, également comédien au Théâtre Cercle Molière (TCM), qui lui fait découvrir cet univers. Et le TCM suivra Michelle toute sa vie. Elle n’a cependant pas choisi une carrière artistique : elle est plutôt devenue planificatrice financière. Mais elle est restée impliquée dans la communauté franco-manitobaine et dans plusieurs associations : la Maison Gabrielle-Roy, Francofonds, et bien sûr, le TCM.
Entre 2007 et 2009, une campagne de financement a lieu car le Théâtre voulait avoir un local désigné, conçu pour la scène (on utilisait précédemment une chapelle). Michelle, accompagnée par Maria Chaput, alors sénatrice, est chargée de la campagne. Ce sera un franc succès : deux millions de dollars sont récoltés, le TCM aura son théâtre, sur le boulevard Provencher au cœur de Saint-Boniface.
Michelle entre alors au conseil d’administration du TCM et lors de son mandat comme présidente, elle lance la création d’un fonds de dotation qui rapporte un million de dollars. L’avenir du Théâtre est assuré, quels que soient les obstacles que réserve l’avenir (inhérents aux nouveaux locaux et peut-être une pandémie mondiale?). L’expertise financière de Michelle mise au service d’une institution culturelle a probablement changé l’avenir du théâtre franco-manitobain.
Pour Michelle, faire du bénévolat est primordial. C’est une façon de redonner à sa communauté, en se donnant soi-même plutôt qu’en donnant seulement de l’argent. Cela permet de quitter un peu notre société de surconsommation pour partager et donner au suivant.
J’ai posé à chaque femme la question des défis qu’elles peuvent rencontrer en tant que femme en situation minoritaire dans leur province. Pour Michelle, c’est que les femmes ne se font pas assez confiance entre elles. Se tailler une place dans la société est difficile, surtout dans un univers professionnel plutôt masculin comme le secteur financier où elle évoluait, mais dans lequel les femmes ne s’aident pas mutuellement.
Sedami Gnidehou est professeure adjointe associée à l’Université de l’Alberta, sur le campus Saint-Jean. Originaire du Bénin, elle y a grandi et fait toutes ses études, jusqu’au moment d’entrer à l’université. Elle a pris la direction de Paris, et y est restée une quinzaine d’années : pour ses études secondaires d’abord, et ensuite pour une thèse de doctorat et des contrats post doctorat. Sa spécialité? La biologie moléculaire, domaine qui a connu une éclosion lors de ses études. Ses travaux portent sur les acides nucléiques, et notamment le vaccin contre la malaria. Elle vit en Alberta depuis 2011 et continue ses recherches en français et en anglais.
Nos discussions ont beaucoup porté sur la proportion d’étudiantes en sciences. Même si elle considère que les choses ont changé depuis sa propre scolarité outre-Atlantique, Sedami explique qu’il y a plus de femmes dans ses cours aujourd’hui qu’il n’y en avait lors de ses études. Cependant, des barrières existent, notamment pour les femmes immigrantes, plus timides à rejoindre des cursus scientifiques, et encore plus pour les femmes immigrantes d’origine subsaharienne. Des bourses et des fondations ont été créées pour inciter à la mixité dans les sciences, et il faut, selon elle, que les étudiantes croient en elles-mêmes davantage et saisissent les occasions qui existent, notamment dans les postes à responsabilité et de leadership.
L’égalité hommes-femmes est importante pour Sedami, surtout dans un pays comme le Canada où la société est prête à intégrer ce paradigme pour de bon. Tout commence à la maison, avec l’éducation des enfants : dire aux filles qu’elles sont capables de tout, que rien n’est impossible, et apprendre les concepts d’égalité des droits aux garçons dès le plus jeune âge permettra d’atteindre l’égalité au fil des générations. La jeunesse, notamment immigrante, est à ses yeux la clé d’une société canadienne égalitaire et multiculturelle.
Pour Sedami, les défis en Alberta sont l’accès à la santé en français et l’accès à l’instruction universitaire en français, d’autant plus que le Campus Saint-Jean a été menacé d’importantes coupures en 2020.
Pauline Gobeil est désormais retraitée, après un long parcours associatif qui n’est probablement pas terminé. Native de la région du Lac Saint-Jean, elle décide de quitter le Québec pour aller apprendre l’anglais. Elle s’est arrêtée un petit moment à Regina et s’est finalement installée à Victoria en 1985. La naissance de ses deux garçons a été un déclic : comment transmettre le français en milieu minoritaire? Pauline s’est impliquée tout le long de la scolarité de ses enfants, en rejoignant divers conseils d’administration et associations, jusqu’à finalement devenir présidente de la Fédération des parents francophones de la Colombie-Britannique (FPFCB).
L’engagement de Pauline se cristallise autour de la question des écoles francophones, notamment après le transfert de gouvernance en 1996, qui a créé une commission scolaire francophone autonome en Colombie-Britannique. L’école Victor-Brodeur dans l’agglomération de Victoria devenait vétuste et trop petite : Pauline fait partie du groupe de parents qui milite pour la construction d’une nouvelle école. Ils obtiennent gain de cause et les travaux commencent en 2004.
Mais le combat n’est pas fini : en 2010, une longue bataille légale commence. Le Conseil scolaire francophone et la FPFCB considèrent que les inégalités de financement entre les écoles anglophones et les écoles francophones constituent une violation de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui protège l’éducation en milieu minoritaire. La Cour suprême du Canada leur donne raison en juin 2020 et le gouvernement de la Colombie-Britannique doit s’acquitter de sept millions de dollars en dédommagement.
Bien que le jugement ait été rendu il y a déjà deux ans, Pauline considère que la construction de nouvelles écoles francophones dans la province se fait attendre. Trois écoles sont prévues à Victoria, et celle de Langford, par exemple, éviterait aux enfants de faire trois heures d’autobus par jour pour se rendre en classe. Elle incite tout le monde, parent ou non, à s’impliquer dans les conseils scolaires et à voter, car il n’est pas obligatoire d’avoir un enfant scolarisé pour le faire, et un conseil scolaire ne doit pas être coupé de la communauté qu’il sert.
Pour Pauline, le défi principal n’est pas tant féminin que familial, et c’est bien sûr de garantir l’éducation en français aux enfants.
Merci!
Je tiens à remercier ces trois femmes pour le temps qu’elles m’ont consacré et les pistes de réflexion qu’elles m’ont apportées.