Pour Chúk Odenigbo, membre du Conseil d’administration du CFQO, le Mois de l’histoire des Noirs est important dans un contexte canadien, si ce n’est que pour remettre les pendules à l’heure concernant certains faits historiques. « On pense souvent que les Noirs étaient effacés dans l’histoire du Canada. Or, ils ont pris part à la Première Guerre mondiale au nom de l’Angleterre », commence-t-il. De plus, comme il le remarque, même si les personnes noires ne forment que 3,5 % de la population du Canada, nous sommes le seul pays occidental à présenter une personne noire sur l’un de nos billets de banque. Nous pouvons tous être fiers de Viola Desmond, qui a lutté contre la ségrégation légale au Canada. »
Chúk Odenigbo partage du même souffle que le Canada est le premier pays occidental ayant eu une personne noire à la tête du pays, en la personne de Michaëlle Jean. « Mentionnons aussi que c’était une femme, ce qui est doublement impressionnant ».
Évidemment, il est important de souligner ces réalisations fort positives pour notre pays, car cela fait en sorte que les personnes noires se sentent à leur place, elles sentent qu’elles font partie du tissu social national. C’est dans cet optique qu’au cours de sa courte histoire, le CFQO a fait la part belle aux personnes noires, qui ont été élues à des postes clés, notamment l’artiste Sympa César qui a joué un rôle incontournable dans la fondation du Comité, ainsi que Stéphane Youdom, ancien directeur des finances.
Cela dit, la mission même du CFQO m’amène à parler d’une réalité que vivent les personnes 2SLGBTQIA+ et noires : la discrimination basée sur l’orientation sexuelle ou l’affirmation de genre.
Il s’agit d’une forme de discrimination encore bien présente au Canada, y compris au sein des communautés noires. Comme le fait savoir Chúk Odenigbo, la communauté noire au Canada est très religieuse. « Ça peut être dangereux d’être visiblement non-hétérosexuel en tant que noir », dit-il. De plus, le mariage est important aussi pour ces communautés. Le fait de faire partie de la communauté 2SLGBTQIA+ apporte donc une certaine forme de discrimination intrinsèque. »
Ce phénomène de double discrimination est appelé intersectionnalité et a été d’abord identifié par la sociologue américaine Kimberlé Crenshaw. Il met en lumière le fait que plusieurs formes de discrimination se recoupent, créant des injustices sociales à plusieurs niveaux dont il est difficile de se défaire, car elles sont doublement intégrées dans nos concepts sociétaux.
Comment cela peut-il se traduire ? Chúk Odenigbo tente un élément de réponse. « J’essaye d’acheter une maison en Alberta, et on semble ne pas me prendre au sérieux. Est-ce parce que je suis noir, ou parce que je fais partie de la communauté 2SLGBTQIA+ ou un peu des deux ? » C’est là que le concept de l’intersectionnalité prend tout son sens, car la vérité se trouve probablement au confluent de ces deux formes de discrimination.
Or, qu’arrive-t-il si nous ajoutons encore une couche de discrimination ou d’injustice sociale à celles déjà présentes ? Par exemple, si Chúk était une femme, est-ce qu’on le prendrait encore moins au sérieux ? S’il présentait un handicap ou s’il faisait partie d’une minorité religieuse ? Comment cela serait-il interprété par l’agent immobilier ?
Poussons la réflexion encore plus loin. Si Chúk parlait anglais avec un accent francophone, est-ce que cela peut compter comme une forme de discrimination sous le parapluie de l’intersectionnalité? Le principal intéressé affirme que oui. « Les personnes francophones avec un accent et évoluant en milieu minoritaire, qu’iels soient hétérosexuelles ou non, vivent une forme de discrimination basée sur la langue maternelle. »
Ainsi, durant le mois de février, et pourquoi pas durant le reste de l’année, j’invite le lectorat de WebOuest à jeter un regard attentif à l’intersectionnalité et aux formes de discrimination plurielles que vivent les personnes noires du Canada. La fin du racisme et de l’injustice sociale ne peut s’effectuer que par une compréhension intime de ses multiples manifestations.
Et pour terminer sur une note positive, Chúk Odenigbo invite les gens à célébrer véritablement l’histoire des noir.es au Canada. «Etre noir.e, ce n’est pas seulement qu’une histoire de discrimination!»