Goulet viendrait de l’occitan médiéval, avec deux origines possibles: une déformation du mot goula qui signifie gorge ou encore de las goulos, qui veut dire un passage étroit.
Jacques Goulet (1615-1688) et son épouse Marguerite Mullier, originaires de France (région du Perche), s’installent en Nouvelle-France en 1645. Goulet vient y travailler comme meunier pour le sieur Noël Juchereau Deschâtelets. Il passe ensuite une grande partie de sa vie sur les terres qu’il a acquises à L’Ange-Gardien, au nord-est de Québec, tout en pratiquant le métier de meunier. Jacques et Marguerite ont eu douze enfants et ils sont à l’origine de tous les Goulet en Amérique du Nord, y compris le héros métis Elzéar Goulet et sa petite-fille Mani Tobie.
L’arrivée des Goulet dans l’Ouest remonte au XVIIIe siècle. On peut trouver plusieurs engagés portant le patronyme Goulet dans les contrats de voyageurs de l’époque. Le grand-père d’Elzéar Goulet, Jacques, a travaillé d’abord pour la compagnie du Nord-Ouest de 1804 à 1821 et ensuite en Saskatchewan pour la Compagnie de la Baie d’Hudson jusqu’en 1924. En 1833, le fils de Jacques, Alexis, épouse Josephte (ou Josette) Sieveright (ou Siveright/Severight), fille d’une Métisse et d’un Écossais. C’est avec cette union que débute l’une des lignées métisses des Goulet dans l’Ouest.
Quatre des six enfants d’Alexis et Josephte se sont distingués dans l’histoire du Manitoba.
🔸 Roger Goulet, receveur des douanes, magistrat de police et juge de paix, a été membre du Conseil d’Assiniboia de 1865 à 1869 (Assemblée législative précédant la création du Manitoba).
🔸 Annie Goulet est la première femme née à Saint-Boniface à entrer en religion dans la Congrégation des Soeurs Grises en 1864. Seule religieuse de son époque à parler couramment le sauteux et le cri, elle a œuvré de nombreuses années à Lebret en Saskatchewan.
🔸 Maxime Goulet, député du comté de La Vérendrye au Manitoba, a été ministre provincial de l’Agriculture en 1880. En 1889, Maxime se rend à Paris en compagnie de trois autres Métis de la Rivière-Rouge : Ambroise Lépine, Michel Dumas et Jules Marion. Ils faisaient partie de la troupe du Buffalo Bill’s Wild West Show dans le rôle de trappeurs tirant des traîneaux à chiens!
🔸 Enfin, Elzéar Goulet, livreur des postes et en 1869, membre du gouvernement provisoire de Louis Riel.
De 1860 à 1869, à la demande de son frère Roger, Elzéar Goulet devient postier et s’occupe principalement de l’acheminement du courrier entre Pembina (à la frontière canado-américaine) et Upper Fort Garry (à Winnipeg). D’ailleurs, la route principale entre ces deux pôles des échanges commerciaux de l’époque est le chemin Saint-Paul (Crow Wing Trail), emprunté aussi par Moïse Goulet, oncle d’Elzéar, fréteur de métier dont on peut visiter la maison originale à Saint-Pierre-Jolys.
La petite-fille d’Elzéar, Marie-Thérèse (alias Manie Tobie) avait donné une conférence en 1966* dans laquelle elle raconte l’anecdote suivante à propos de son grand-père. Un hiver, alors qu’il acheminait le courrier entre la Rivière-Rouge et Pembina, Elzéar Goulet trouva le père oblat Goiffon en détresse dans la neige, les jambes gelées, à côté de son cheval. Elzéar le transporta à Pembina et ensuite à Saint-Boniface pour être soigné. Sans son intervention, le père Goiffon n’aurait pas survécu.
En 1869, Elzéar Goulet se joint Louis Riel à la défense des droits des Métis. Il fut membre du gouvernement provisoire du Manitoba de 1869-1870. En mars 1869, comme il était lieutenant de la cour martiale, il a participé à la condamnation à mort de Thomas Scott, un orangiste semeur de troubles, coupable d’insubordination à l’égard du gouvernement provisoire qu’il avait tenté de renverser. Le 13 septembre 1870, trois des compatriotes de Scott (dont deux soldats de l’Ontario Rifles) ont poursuivi Elzéar Goulet dans Winnipeg avec l’intention de venger Scott. En essayant de traverser la rivière Rouge vers Saint-Boniface, assommé par l’un des pierres lancées par ses poursuivants, Goulet coula au fond de la rivière. On retrouva son corps le lendemain portant la trace d’un coup à la tête. Personne n’a jamais été puni pour ce crime. Sa femme, Hélène Jérome, a donné naissance à un fils un mois plus tard qu’elle a surnommé Elzéar. Elzéar père est enterré au cimetière de la Cathédrale de Saint-Boniface aux côtés de ses parents et de son frère Roger. Elzéar Goulet est considéré par les Métis à la fois comme un martyr et comme un héros.
Roger, le fils aîné d’Elzéar Goulet, n’avait que trois ans au moment de la mort de son père. Sa tante Sarah Goulet et son époux Elzéar Lagimodière ont accueilli Roger dans leur demeure à Lorette et se sont occupés de son éducation. Roger Goulet a étudié au Collège de Saint-Boniface et à l’Université du Manitoba. Après quelques années comme enseignant, il devient le directeur de l’École normale de Saint-Boniface en 1900 et inspecteur d’écoles jusqu’à sa retraite en 1932. Le diabète lui cause des ennuis de santé graves dont une amputation, ce qui a dû être difficile à surmonter, car Roger était un homme actif, joueur de baseball dans sa jeunesse, membre du club de raquettes Le Voyageur et adepte de course à pied. Roger Goulet était aussi un orateur de talent et un passionné d’histoire et de généalogie. Il a fait partie de la Société historique de Saint-Boniface et en 1909, il a été président de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba.
Roger Goulet et son épouse Lumina Gauthier ont eu onze enfants parmi lesquels la célèbre autrice, poétesse, conférencière et communicatrice, Manie Tobie.
Petite-fille d’Elzéar Goulet, Marie-Thérèse est née à Saint-Boniface en 1912. Elle fait ses études primaires au couvent des Filles de la Croix de Saint-Adolphe et ses études secondaires à l’Académie Saint-Joseph à Saint-Boniface. Elle reçoit son brevet en éducation de l’École normale du Manitoba et enseigne quelques années avant d’épouser, en 1931, Joseph Courchaine de Saint-Adolphe, un veuf de 22 ans son aîné. Tout en élevant leurs six enfants, elle poursuit sa carrière et ses études, obtenant en 1955 un diplôme d’excellence en français oral de l’Université du Manitoba.
Comme ses parents ainsi que deux de ses sœurs et frères, Marie-Thérèse souffre du diabète et à la fin des années 1950, quand elle commence à perdre la vue, elle cesse d’enseigner. Cependant, elle reste très active et occupe brièvement le poste d’animatrice d’une émission pour enfants à CFRG, le tout nouveau poste de radio de langue française à Gravelbourg en Saskatchewan. Marie-Thérèse Goulet Courchaine donne aussi des conférences et, sous le pseudonyme de Manie Tobie, se consacre à l’écriture de poésie et d’articles témoignant des événements de la société de son temps et défendant les droits des Métis. Presque aveugle, amputée d’une jambe en 1966, ce qui l’oblige à se déplacer en fauteuil roulant, rien ne l’arrête toutefois. Elle écrit des textes radiophoniques pour CKSB, la radio de Saint-Boniface et collabore à plusieurs revues et journaux dont La Liberté et Le Patriote jusqu’à son décès en 1970.**
Dans le prochain article, je vous propose de découvrir, entre autres, des Goulet originaires du Québec s’étant installés il y a plus de cent ans à Saint-Boniface et à South Junction, près de la frontière canado-américaine. Je vous présenterai aussi Louis Goulet, un Métis de la Rivière-Rouge qui, dans un livre devenu une référence historique, raconte ses souvenirs et la vie des Métis chasseurs de bisons avant que ces derniers ne disparaissent de la Plaine.
🔸 Manie Tobie, femme du Manitoba de René Juéry, Éditions des Plaines: compilation des œuvres en prose et des poèmes de l’autrice métisse Marie-Thérèse Courchaine.
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*L’article au sujet de l’exposition intitulée En paroles et en gestes : portraits de femme du Manitoba français.
**En 1966, Marie-Thérèse Courchesne (alias Manie Tobie) a donné une présentation au sujet de sa famille devant des invité.e.s rassemblé.e.s à l’Institut collégial Saint-Joseph (aujourd’hui Manoir de la Cathédrale à Saint-Boniface), dans le cadre d’une causerie sur l’histoire de la famille Goulet. Le document est disponible sur demande au Centre du Patrimoine de Saint-Boniface.