Celui que je trouve le plus intrigant et qui est lié à des événements importants de l’histoire de l’Ouest canadien, c’est Lafournaise dit Laboucane. Il y a plusieurs versions de ce patronyme dont Fournaise dit Laboucan ou encore Laboucane seulement. Du sud de la France jusqu’aux collines albertaines, suivons le trajet de ce patronyme évocateur!
Le patronyme Lafournaise vient de la Normandie où se trouvait en 1634 une seigneurie du nom de… La Fournaise!
Laboucane pourrait tirer son origine de la Haute-Garonne où se trouve Bouconne, un tout petit lieu, près de Toulouse. Une forêt protégée de cette région porte aussi ce nom.
Lafournaise pourrait être un dérivé de fournier (devenu aussi un patronyme) qui, au Moyen-Âge, était le responsable du four d’un château. Il avait un rôle important pour les villageois, car c’est dans ce four, souvent de grande taille, qu’il cuisait leurs pains.
Laboucane était probablement le nom de guerre du soldat François Lafournaise, de la compagnie de Montigny des troupes de la Marine française arrivées en Nouvelle-France au XVIIIe siècle.
J’ai tenté de suivre la branche de l’arbre généalogique de ce premier Lafournaise dit Laboucane qui nous mène vers l’Ouest canadien. Après avoir consulté plusieurs documents en ligne, parfois contradictoires, voici ce que j’ai déniché.
François Fournaise dit Laboucane (1705-1765) est originaire de Toulouse. Il débarque en Nouvelle-France avec son régiment vers 1728. Marié deux ans plus tard à Angélique Serre St-Jean (1712-1772), il semble avoir pratiqué le métier de chaudronnier après avoir eu son congé de l’armée. Le couple a eu treize enfants incluant Mathurin Aubin Fournaise dit Laboucane (1744-1809), dont l’un des garçons, Joseph Baptiste a fait sa vie dans l’Ouest canadien.
Joseph Baptiste Lafournaise dit Laboucane (1777-1830) est né à Montréal. La raison de son déplacement vers le Manitoba vers la fin du XVIIIe siècle est un mystère. En 1830 à Saint-Boniface, il épouse la métisse d’origine Tsuut’ina (Sarci) Suzanne Allard dit Leclair ou Leclerc (née en 1786) avec qui il avait probablement été marié bien avant à la façon du pays puisqu’ils ont eu leurs premiers enfants vers 1800. Nous allons nous pencher sur la vie de deux de leurs fils, Gabriel et Jean-Baptiste.
Né en 1816 à Saint-Boniface, Gabriel est un personnage haut en couleur qui a fait l’objet d’une allocution du juge Louis-Arthur Prud’homme en 1932, livrée à une réunion de la Société royale du Canada. Selon M. Prud’homme, Gabriel était un habile chasseur et il a fait partie des chasseurs de bisons qui se déplaçaient deux fois l’an jusque dans les contrées reculées du Missouri. Tout comme Louis Goulet, il a fait du commerce avec les Sioux (Lakotas) qu’il affrontait avec aplomb quand ces derniers s’en prenaient aux Métis. D’ailleurs, toujours selon le juge Prud’homme, les Sioux admiraient le courage de Gabriel et le respectaient. En 1842, Gabriel épouse Suzanne Collin. Ils faisaient partie des premiers habitants de la toute nouvelle paroisse de Saint-Pierre-Jolys au Manitoba. Dès 1882, Gabriel a vécu sur sa terre située sur les rives de la rivière Roseau près de Saint-Malo. Il est mort en 1910 à l’âge de 94 ans à l’Hospice Taché, aujourd’hui Action Marguerite de Saint-Boniface.
Jean-Baptiste Lafournaise est né vers 1813 dans la colonie de la Rivière-Rouge au Manitoba. Il a d’abord été voyageur pour la compagnie du Nord-Ouest au Fort des Prairies, aujourd’hui Edmonton. Il fut ensuite chasseur sous contrat pour la Compagnie de la Baie d’Hudson, toujours dans la même région. Jean-Baptiste, son épouse, Marguerite Gosselin (1816-1887) et leurs enfants se sont installés au Manitoba en 1831, et ils y étaient encore en 1850, selon le recensement de cette époque. Mais la famille a continué ensuite à se déplacer, car six des fils de Jean-Baptiste et Marguerite sont à l’origine de la fondation du hameau de Laboucane en Alberta (voir texte ci-dessous). L’un d’entre eux, Gabriel (oui, le neveu de l’autre Gabriel), a aussi été un chef des éclaireurs des 49th Rangers qui ont accompagné les arpenteurs à la frontière canado-américaine en 1873-1874. Jean-Baptiste est mort en 1876 à Smokey River en Alberta.
Vers 1875, six frères Lafournaise utilisant le patronyme de Laboucane (l’histoire ne dit pas quand certains Lafournaise commencèrent à utiliser plutôt de nom Laboucane) décident de quitter le Manitoba pour fonder une petite colonie au sud d’Edmonton qu’ils nommeront Laboucane. Il s’agit des fils de Jean-Baptiste et de Marguerite Gosselin: Diome, St-Pierre, Jean-Baptiste, Elzéar, Jérôme et Guillaume. Les Laboucane avaient le sens des affaires et possédaient des chevaux et des troupeaux de bœufs. Cependant, en 1902, Jérôme, Elzéar et St-Pierre, ainsi que les deux garçons de ce dernier, John et Jules décident de s’établir plus au nord de l’Alberta, dans le village de Saint-Paul-des-Métis. Le hameau Laboucane existe encore aujourd’hui sous le nom de Duhamel. En 2012, l’anthropologue Serge Bouchard avait consacré un article savoureux qui mérite d’être lu sur l’histoire de ce lieu et de ses noms de famille pittoresques dans la revue Québec Sciences.
Les frères Laboucane ont été attirés par le projet philanthropique du père Albert Lacombe de créer une colonie métisse en Alberta où les familles pourraient s’épanouir à l’écart de l’influence des Blancs. Les nouveaux venus étaient d’excellents chasseurs et pêcheurs, ce qui a permis à la communauté, fondée en 1896, de survivre un premier hiver. Cependant, les Métis se sont vus imposer un mode de vie agricole pour lequel ils n’avaient pas d’expérience. Le père Lacombe, trop âgé pour voir à la gestion de Saint-Paul-des-Métis, l’a confié à un autre père oblat, Adéodat Thérien qui a priorisé la construction d’un presbytère, d’un pensionnat et d’une église, investissant peu dans l’appui direct aux Métis qu’il trouvait quêteux et paresseux. Ces derniers n’ont jamais été consultés sur les affaires de la jeune colonie qui a pourtant vu le jour en leur nom! En 1909, devant l’échec du projet pour lequel on a longtemps blâmé les Métis eux-mêmes, les autorités (incluant le père Thérien) reprennent les terres où les Métis s’étaient installés et transforment l’endroit en village canadien-français, qui se nomme dorénavant Saint-Paul. Vous pouvez lire une histoire plus détaillée des premières années de ce village ici, ainsi qu’un blogue en anglais intitulé Reconciliation St. Paul. Katrine Deniset de Radio-Canada a produit un segment télévisé sur le sujet qu’on peut voir en ligne.
🔸 Patronymes et prénoms (amis-histoire-vallon.org)
🔸 Les Lafournaise/Laboucane dans l’Ouest (en anglais)
🔸 Histoire très détaillée de la Commission de la frontière internationale et des 49th Rangers (en anglais)
🔸 Biographie de Gabriel Lafournaise, des 49th Rangers (en anglais)
*Lien pour lire la thèse de doctorat d’Aurelio Ayala de l’Université de Nantes
**Lien pour accéder au site Peel’s Prairie Provinces, une initiative de numérisation de l’Université de l’Alberta