Romancière, essayiste, chroniqueuse, militante, conférencière et chercheuse, Mouna Hachim est une femme aux multiples talents. Ce sont ses connaissances en généalogie marocaine qui ont attiré mon attention, alors qu’elle est l’autrice d’un ouvrage intitulé Dictionnaire des noms de famille du Maroc. Comme je désirais depuis longtemps me pencher sur l’histoire des patronymes en Afrique du Nord, je suis entrée en contact récemment avec Madame Hachim. Malgré son horaire très chargé, elle a pris le temps de répondre à mes questions sur les patronymes marocains.
Q : Quelle est l’importance du nom de famille au Maroc?
Mouna Hachim (MH) : Le nom de famille est logé au cœur de l’identité, il est révélateur de l’histoire d’un peuple et de ses mentalités. À l’instar des sociétés anciennes patriarcales, le système d’identification des Marocains se basait généralement sur le Nasab. C’est-à-dire le nom de portée généalogique qui exprime la parenté par l’adjonction au prénom, celui du père, puis du grand-père, puis de l’arrière-grand-père. Par exemple : Mohamed ben Abd-Allah ben Abd-al-Mottalib.
Le préfixe de filiation Ben (fils de) a ses équivalents berbères: Ou, A, Aït. Cette succession de noms, parfois fastidieuse, se révèle être un moyen d’identification infaillible, étant peu probable de rencontrer deux personnes portant exactement la même suite de noms d’ancêtres.
S’ajoute parfois à ce patronyme la Kunya qui est formée par une annexion du nom du fils ou d’une caractéristique. Exemples : Bel-Abbès et Bou-Chantouf.
Quant à la Nisba, généralement transmissible, elle se présente sous forme d’un adjectif en i, désignant une appartenance à un lieu, à un parti, à une obédience religieuse, à une activité professionnelle. Exemples : Tadili, Tijani.
Enfin le Laqab est un surnom qui réfère à un titre honorifique ou à une qualité physique ou morale. Attribué à la naissance selon la mode orientale, il fut particulièrement en vogue chez les personnalités de haut rang avec une résonance cérémonieuse.
Q : Comment sont documentées les histoires des familles et des noms?
MH : Elles sont d’abord conservées dans la mémoire, transmises de génération en génération. L’essence de ce système d’identification est l’oralité, avec son corollaire, le dynamisme. Avec l’apparition de l’État civil obligatoire qui prit force légale, le patronyme se trouva figé par écrit. Beaucoup de familles, contraintes de choisir un nom, plus dépouillé, plus distinctif, le firent de manière arbitraire, sans aucun référentiel historique, si ce n’est des indications d’ordre culturel propre à l’époque. C’est le cas notamment pour des noms évoquant le mouvement de la Renaissance arabe avec les Chawqi, Sidqi, etc. Même les familles qui eurent la chance de perpétuer leur ancien patronyme le transcrivirent en caractères latins, propres à l’administration coloniale, de plusieurs manières différentes, parfois au sein d’une même famille, prêtant plus tard à confusion. C’est ainsi que des patronymes simples offrent des graphies multiples : Sqalli (de Siqiliya, la Sicile), Skali, Essakali, Assakali.
Q : Comment est choisi le nom de famille pour chaque personne à sa naissance?
MH : Le nom de famille est un héritage et une continuité. Autant dans le passé, il pouvait être variable, autant avec l’État civil obligatoire, il est devenu fixe depuis la naissance.
Q : Comment et par qui se transmet l’histoire des familles?
Principalement par le biais des personnes âgées, les grands-parents, grands dépositaires de la tradition. Mais en ces périodes de tous les chamboulements, cette oralité se révèle fragile et nous rappelle cette sagesse selon laquelle, lorsqu’une personne âgée meurt en Afrique, c’est l’équivalent d’une bibliothèque qui brûle.
Q : Que peut-on apprendre du Maroc à travers l’histoire de ses familles?
MH : Par le biais de la petite histoire des familles se déroulent les grandes pages de l’histoire du pays. C’est un moyen extraordinaire de comprendre notre histoire sociale et culturelle. On saisit par exemple toute la profondeur du socle amazighe; les interpénétrations opérées à travers les siècles; les mouvements multiformes des tribus pour des raisons économiques, politiques, pour raisons de guerres ou d’épidémies. Forcément, on dérange quelques fables implantées sur les origines glorificatrices, souvent liées à une provenance orientale jugée pour certains plus valorisante, on met l’accent sur le phénomène de conversion depuis le judaïsme à l’islam parfois pour des raisons politiques comme c’était le cas notamment pendant le règne almohade.
La généalogie marocaine est donc une mine d’informations sur tous les plans!
Q : Vous avez consacré plusieurs années à écrire le Dictionnaire des noms de famille du Maroc qui a connu un tel succès qu’il est épuisé en librairie. Pourquoi d’abord ressentiez-vous le besoin d’écrire cet ouvrage?
MH : C’est, à mon sens, la meilleure approche pour jeter la lumière sur l’histoire sociale et culturelle du pays, en intéressant le plus grand nombre et en ayant un regard global sur toutes les régions du pays, avec leurs diversités ethniques, religieuses et culturelles. Ce qui m’intéresse, c’est d’avoir une vision globale et d’employer différentes approches et disciplines en rapport avec les sciences humaines et sociales. Il y a de la littérature, de la sociologie, de l’anthropologie, de la généalogie, de l’histoire… Je rappelle que cet ouvrage n’est pas un Who’s Who, c’est un livre sur les noms de famille et non sur les familles stricto sensu. Comme la patronymie reste le point central de cette recherche, c’est donc le patronyme qui prime, sa résonance, la fréquence de son usage, son étymologie, son univers historique, géographique, social, culturel, les lois sémantiques et phonétiques qui le régissent, les familles et tribus qui le partagent et quelques personnalités représentatives anciennes et modernes.
La réalisation de cet objectif sur fond de patronymie comprend un intérêt historique incontestable étant entendu que les noms de famille portent la marque d’une civilisation avec une mine de renseignements sur la société, ses structures, son évolution.
Q : Quelles sont les découvertes que vous avez faites en écrivant ce dictionnaire?
MH : Quand on pioche dans ces thématiques, on fait face à des évidences sans que cela soit à tous les coups, des découvertes. On prend ainsi conscience de la profondeur du socle amazigh dans notre identité. On réalise les interpénétrations ethniques et culturelles, opérées au cours des siècles et qui font l’âme marocaine. Certains noms renvoient par exemple à des tribus du nord au sud du royaume depuis le Sahara, jusqu’au Gharb, en passant par le Haouz de Marrakech.
Q : Pour nos compatriotes marocains qui vivent dans l’Ouest canadien et qui se décident à se lancer à la découverte de leurs ancêtres, avez-vous des conseils à leur prodiguer pour faire une recherche efficace?
MH : La première des priorités est d’interroger les personnes âgées dans la famille, celles qui sont à même de livrer des pistes indicatives depuis les mythes d’origine qui sont parfois riches de sens, le berceau familial, les principaux centres d’établissement et bien sûr, la liste des ancêtres en remontant le plus loin possible et en recoupant les différentes versions. Autant d’éléments qui peuvent orienter la recherche vers des ouvrages spécialisés selon la nature du nom et selon la région d’origine.
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Un merci chaleureux à Mouna Hachim pour avoir partagé avec nous ses connaissances en généalogie marocaine. Je vous invite à lire sa série de chroniques en ligne publiée dans Le 360, média marocain numérique.
Autres ressources généalogiques maghrébines:
Dictionnaire des patronymes algériens :
Archives nationales de Tunisie