Le nom Martin vient du latin et il serait associé à Mars, le dieu de la guerre. Au 17e siècle, Martin était un patronyme très répandu en France et c’est pourquoi on retrouve au moins une quinzaine d’engagés du nom de Martin qui ont vogué vers la Nouvelle-France et s’y sont établis. Pierre Martin dit Ladouceur (1666-1742) en faisait partie. Il était maçon et en 1722, il a “pierroté” la cuisine du tout nouvel hôpital général de Montréal. Il a épousé Marie-Anne Limousin dit Beaufort, et le couple a eu 17 enfants. Si la plupart de leurs descendants ont gardé le patronyme de Martin, d’autres ont choisi Ladouceur, comme Adam et son fils Modeste, pionniers Métis en Alberta.
L’un des premiers Canadiens français à travailler comme traiteur de fourrures libre en Alberta est l’arrière-petit-fils de Pierre Martin dit Ladouceur, Joseph (1782-1881) qui ne portait que le patronyme Ladouceur. Il s’est installé à Lac La Biche, au nord d’Edmonton, où en 1819, il a épousé une Métisse à la façon du pays, Josephte Suzette Cardinal. Originaire de Montréal, Joseph Ladouceur laisse sa famille albertaine sur place lorsqu’il décide un jour de retourner seul et pour de bon dans sa ville natale.
Son fils, resté en Alberta, prénommé aussi Joseph (1813-1890), est trappeur, chasseur et fermier, des métiers que les hommes Ladouceur pratiquent pendant plusieurs générations, comme c’est le cas de bien des Métis de la région de Lac La Biche. De son premier mariage avec Julie Auger (vers 1822-1877), Joseph fils a eu 5 garçons qui ont survécu jusqu’à l’âge adulte, dont Adam (1843-1910). En 1872, ce dernier a marié Marguerite Desmarais (vers 1857-1902), avec qui il fonde une grande famille de 18 enfants. C’est pourquoi on retrouve de nombreux descendants des Ladouceur à Lac La Biche encore aujourd’hui.
À ses débuts au 18e siècle, Lac La Biche, à 200 kilomètres au nord d’Edmonton, était un poste de traite de fourrures à la fois pour la Compagnie de la Baie d’Hudson et pour la compagnie du Nord-Ouest. C’était une étape incontournable sur la route des voyageurs entre Fort Edmonton et Fort Chipewyan. Elle devenue au 19e siècle une communauté Métisse importante, avec en 1872, une population 15 fois plus grande que celle d’Edmonton. Lac La Biche était aussi une mission catholique dont l’histoire est très bien racontée dans le site web du Lieu historique national de la Mission du Lac La Biche ainsi que dans un ouvrage de Juliette Champagne, écrit en 1990.
L’un des enfants d’Adam et Marguerite s’appelle Modeste (1890-1979). Lui aussi se distingue comme excellent trappeur et chasseur et il décide de s’installer en 1918 plus au nord de l’Alberta, précisément au Fort Chipewyan, sur les rives du lac Athabasca. En 1963, Modeste naviguait sur le lac avec 9 autres personnes quand un feu dans la cabine a été provoqué par une cigarette, enflammant toute l’embarcation. Modeste a réussi à sauver tout le monde d’une mort certaine jusqu’à ce qu’un autre bateau de trappeurs viennent les sortir de l’eau.
Modeste parlait français et cri, mais sous l’influence de l’importante communauté crie locale, les Ladouceur sont passés du français au cri comme langue d’usage à la maison. Les fils de Modeste, Peter et Frank, parlaient cri et anglais. Frank (1890-1979) a fait l’objet d’un excellent documentaire de l’Office national du film du Canada datant de 1975, dans lequel on découvre son quotidien comme trappeur, ses réflexions sur sa vie en solitaire, loin de sa famille et ses inquiétudes sur l’avenir de la langue crie et des traditions ancestrales des Métis. Ce court-métrage, intitulé Man Who Chooses the Bush par le cinéaste albertain Tom Radford, témoigne d’un style de vie aujourd’hui disparu.
Tout a commencé en 1788, quand la Compagnie du Nord-Ouest découvre la région avec l’aide de guides autochtones et installe un poste de traite sur les rives de l’Athabasca. Fort Chipewyan ou Fort Chip est devenu l’un des postes de traite les plus importants du Canada, surnommé « l’Emporium du Nord ». Fort Chip est aujourd’hui une communauté Métisse très dynamique. Mais elle fait face à de grands défis environnementaux avec l’exploitation des sables bitumineux, le barrage hydroélectrique et les changements climatiques qui contribuent à la détérioration du delta Paix-Athabasca, si important pour maintenir le mode de vie traditionnel des Métis et des Cris de la région.
En 2005, l’historienne Nathalie Kermoal a rassemblé de magnifiques photos d’archives dans un livre commémorant le centenaire de l’Alberta. 100 ans noir sur blanc – Les francophones de l’Alberta est donc une lecture recommandée pour en apprendre davantage sur cette grande histoire des pionniers francophones et Métis en Alberta.