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La famille Bonga

Le nom de famille, tout un héritage!
Par Martine Bordeleau | 26 octobre 2024
Voici l’histoire de la famille Bonga dont l’ancêtre Jean-Baptiste a vécu l’abomination de l’esclavage depuis son Afrique natale jusqu’aux Antilles. Il a ensuite recouvré la liberté dans les grands espaces parfois redoutables du Canada où son fils Pierre et ses petits-fils Stephen et George sont devenus de formidables Voyageurs.

L’esclavage au Canada

La triste histoire de l’esclavage au pays a été longtemps ignorée. Pourtant, c’est une réalité qui a sévi sur le territoire canadien pendant deux siècles. Selon l’historien Marcel Trudel, il y avait 4 185 esclaves au Canada  entre 1632 et 1834, date de l’abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques. Parmi eux, 1 132 venaient d’Afrique, incluant Jean-Baptiste Bonga et son épouse Marie-Jeanne Poirier. Les autres esclaves recensés par Trudel faisaient partie des nations autochtones.

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Photo : Stephen Bonga, vers 1799, fils de Pierre, petit-fils de Jean-Baptiste. Sources : Wisconsin Historical Society et Ray 'Duke' Wolf de la Nation Lac Courte Oreilles (LCO)

La famille Bonga au Canada

Les informations suivantes à propos de la famille Bonga sont tirées d’un fabuleux livre, Bonga A Safe Abode in the Wilderness, publié à compte d’auteur par Barry Babcock en 2023. Babcock a fait un travail très documenté sur les Bonga, facile à lire, bien qu’il n’existe pas encore de version en français. Le livre peut être commandé par votre libraire préféré (ISBN 979-8-9873191-5-4).

Jean-Baptiste Bonga (avant 1750-1795) et son épouse, Marie-Jeanne Poirier (avant 1750-1794) arrivent au Canada en 1782. Ils sont les esclaves du commandant écossais Daniel Robertson, qui dirige le Fort Mackinac (Michilimackinac) en Ontario. D’où viennent-ils? C’est encore un mystère qui a mené à de nombreuses spéculations au cours des siècles. Même le petit-fils de Jean-Baptiste, George Bonga, ne le savait pas. En 1872, il écrit dans ses mémoires qu’il regrette ne pas avoir posé plus de questions à son père Pierre à ce sujet. Tout ce qu’il confirme avec certitude, c’est que son grand-père Jean-Baptiste a bel et bien vécu à Mackinac. Selon l’auteur Barry Babcock, Jean-Baptiste Bonga est probablement originaire de la République démocratique du Congo (RDC). Bonga est un nom de famille assez commun en RDC et c’est aussi le nom d’un sous-groupe du peuple Bantou d’Afrique centrale. 

Les origines de Marie-Jeanne Poirier restent inconnues. Comme pour un grand nombre de femmes que l’histoire de l’humanité a ignorées, nous ne savons presque rien de la vie de Marie-Jeanne.

Le couple Bonga et ses trois enfants, Rosalie, Charlotte et Pierre sont libérés de leur condition d’esclave par Robertson en 1787. Jean-Baptiste et Marie-Jeanne ont ensuite connu du succès comme aubergistes sur l’île de Mackinac où ils ont passé le reste de leur vie.

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Photo : Michilimackinac sur le lac Huron en 1813. Estampe de l’artiste Richard Dillon Jr. Source : Bibliothèque et Archives Canada

Pierre Bonga, « l’Homme du Nord »

Vivant au Fort Mackinac, un poste stratégique de la traite des fourrures, les enfants Bonga sont fortement influencés par la vie des voyageurs et des peuples autochtones de la région. Pierre Bonga est lui-même devenu un voyageur célèbre, non seulement par la couleur de sa peau, mais aussi par sa force physique légendaire. Il est capable de transporter jusqu’à 450 livres (205 kilos) de marchandises pendant un portage, soit le double des autres voyageurs. Pierre, né vers 1771, parle français, anglais et ojibwé, ce qui le mène, de 1799 à 1806, à travailler comme interprète pour la compagnie du Nord-Ouest sous la direction d’Alexander Henry Le Jeune.  

Pierre Bonga porte le surnom d’Homme du Nord, grâce à sa réputation d’homme fort respecté, loyal et fiable qui sera aussi commis, un emploi haut placé dans les postes de traite des fourrures. Il est aussi un très bon canotier et il a une excellente connaissance du territoire. Violoneux très apprécié, il fait danser la compagnie dans de nombreux postes de traite sur la route des voyageurs, des Grands Lacs jusqu’à la rivière Rouge du côté de Pembina (Dakota du Nord, à la frontière du Manitoba).

Toujours selon les recherches de Barry Babcock, Pierre Bonga se marie à une femme Ojibwée (ou Chippewa aux États-Unis) dont, encore une fois, on ne sait rien. Le couple a cinq enfants incluant Stephen et George qui deviennent à leur tour des voyageurs renommés.

Stephen Bonga, guide et interprète chevronné

Né en 1799 à Fond du Lac (Wisconsin), Stephen poursuit des études à Albany (New York) où son père l’envoie pour en faire un pasteur presbytérien. Mais « l’appel du large » est plus fort que la vie de cette société de Blancs, loin des siens. Il retourne à Fond du Lac où il devient un voyageur et interprète réputé, tout comme son père. En 1833, il épouse Biwabiko-ikwe, fille du chef Ojibwé Waabooz du Minnesota avec qui il aurait eu au moins quatre enfants. Il est mort en 1884 et sa tombe se trouve aujourd’hui dans le cimetière de Nemadji au Minnesota, tout près du vaste territoire où il a passé une grande partie de sa vie.

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Photo : George Bonga, vers 1870. Il s’agit de la seule photographie connue de lui, prise en studio à St. Paul (Minnesota) par le photographe Charles Zimmerman. Source : Collection de la Minnesota Historical Society, référence 94486

George Bonga, la réussite d’un homme brillant

Le frère cadet de Stephen, George Bonga, né vers 1802, a connu un parcours semblable à son aîné. C’est à Montréal que ses parents l’envoient très jeune pour faire son éducation. Il retourne ensuite auprès de sa famille à Fond du Lac où, dès l’âge de 16 ans, il devient voyageur et commis surtout dans les postes de traite de son Wisconsin natal et au Minnesota. Il travaille comme interprète, maîtrisant plusieurs langues, ce qui le rend très populaire dans les années 1820-1830, surtout auprès des missionnaires chrétiens qui sont de plus en plus nombreux à s’installer dans l’Ouest canadien et chez leurs voisins américains. Il a laissé à la postérité une collection de lettres écrites à des connaissances dans lesquelles il défend souvent le mode de vie des Ojibwés dont il fait partie, et il dénonce souvent les agents du gouvernement américain qui ne respectent pas les Autochtones dont ils ont la responsabilité. George Bonga est une légende dans l’histoire du Minnesota et du Wisconsin. Par son éducation, ses succès en affaires, ses talents de médiateur et son expérience du territoire, sa grande force physique à l’instar de son frère, son père et son grand-père, il est devenu un des acteurs les plus influents de son époque. Marié deux fois de suite à deux femmes Ojibwées, Nahgahnashequay et Baybahmausheak Ashwewin, père de cinq enfants, il compte plusieurs descendants qui vivent aujourd’hui dans la Nation de Leech Lake et dans celle de White Earth au Minnesota.

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Cette photo datant de 1899 montre une délégation Chippewa de Leech Lake (Minnesota) revendiquant leurs droits à Washington. Dans la rangée du haut, à gauche : Paul Bonga (fils de Stephen) et, à droite : William Bonga (fils de George). Source : Bureau of American Ethnology, référence NAA BAE GN 00520C 06141800.

Pour en apprendre davantage sur l’esclavage au Canada, voici quelques documents en français :

🔸 Deux siècles d’esclavage au Québec de l’historien Marcel Trudel, un ouvrage très documenté sur l’esclavage des Noirs et des Autochtones en Nouvelle-France jusqu’au 19e siècle.

🔸 Le dossier spécial du Musée canadien pour les droits de la personne sur l’esclavage noir dans l’histoire canadienne.

🔸 De l’artiste et militant Webster : un livre pour raconter l’esclavage aux enfants : Grain de sable et un ouvrage pédagogique sur l’histoire de l’esclavage au Canada.

Lecture en anglais sur la famille Bonga :

🔸 The Bonga Family: An Alternative Black History (utoronto.ca) 

🔸 George Bonga: the life of a voyageur (ontarioparks.ca)

 

 

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