Divertir, Découvrir, Enrichir
WebOuest L’histoire compliquée des patronymes transformés

L’histoire compliquée des patronymes transformés

Le nom de famille, tout un héritage!
Par Martine Bordeleau | 22 octobre 2022
Les généalogistes le savent bien, les noms de famille ont souvent été transformés ou déformés d’une génération à une autre, pour de nombreuses raisons. Nous allons tenter d’en comprendre quelques-unes. Généralement, l’épellation des patronymes dépend de la compréhension orale de la personne qui doit les inscrire dans un registre de naissance ou de mariage, ou encore dans des documents légaux comme des titres de propriété. En Amérique du Nord, certains noms de famille ont été «rebaptisés» pour être plus faciles à utiliser dans une autre langue. C’est le cas pour de nombreux noms de Canadiens français qui ont déménagé aux États-Unis au cours des XIXe et XXe siècles. Par exemple, Boulanger est devenu Baker, Dubois est passé à Wood et Lejeune est devenu Young.

Selon Janet La France du Centre du patrimoine à Saint-Boniface, les altérations de patronymes étaient assez fréquentes dans l’Ouest aussi, que ce soit pour les adapter à l’anglais ou au français. Létourneau est devenu Black Bird ou Crow, et Beauchemin a été transformé en Goodroad. Même chose pour les noms de famille autochtones comme Piyesis, qui veut dire «petit oiseau» en nehiyawewin (cri des plaines) et qui est devenu Bird. 

Au XIXe siècle, Paul et Émile Ruest, originaires du Québec, ayant déménagé d’abord aux États-Unis et ensuite en Saskatchewan, ont changé leur nom à King pour en faciliter l’utilisation dans un milieu majoritairement anglophone. King devait mieux leur convenir que Roy, la prononciation à l’anglaise de Ruest. Vous pouvez d’ailleurs découvrir l’histoire des frères Ruest/King et celle d’une veste métisse qui leur appartenait, retournée cent vingt-cinq ans plus tard en Saskatchewan dans un article de l’express.ca.

Dans bien des cas, des noms de famille ont été altérés ou transformés quand la personne en position d’autorité en décidait ainsi, souvent sans consulter les principaux intéressés. Par exemple, selon le témoignage (en anglais) du père Patrick Mercredi datant de 1977 et tiré des archives des Territoires du Nord-Ouest, un prêtre de Fort Chipewyan en Alberta aurait transformé le patronyme McCarthy porté par ses ascendants en Mercredi, le trouvant ainsi plus facile à prononcer. 

WebOuest
Le père Patrick Mercredi (à gauche) en compagnie du père Bern Will Brown à Fort McMurray en Alberta. (1961) Crédit : ©NWT Archives/Bern Will Brown fonds/N-2001-002: 11363

Qu’en est-il des noms traditionnels autochtones? Avant la colonisation, à la naissance de leurs enfants, certains peuples des Premières Nations leur donnaient des noms souvent reliés à leur environnement et ce nom pouvait changer au cours de leur vie quand leur personnalité se révélait davantage. Les institutions coloniales ont tenté d’anéantir cette tradition avec l’attribution d’un prénom et d’un nom chrétiens lors du baptême, comme ceux de Marie Sauteux et de Josette Sarcee pour qui, malheureusement, toute information sur leur nom traditionnel (et l’histoire de leur propre famille) nous est inconnue.

De plus, les Autochtones, Inuits et Métis qui ont été victimes des pensionnats autochtones se sont aussi vus imposer des noms et prénoms d’origine chrétienne. Les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation incluent d’ailleurs une recommandation (no 17) pour permettre aux survivant.e.s de retrouver légalement leur nom traditionnel, ce qui leur est maintenant possible depuis juin 2021.

Miller, Muler ou Mulaire?

Un grand nombre de Manitobain.e.s a comme ancêtre commune Catherine Mulaire, une enseignante métisse née en 1843 à qui l’un des descendants, l’artiste et essayiste Bernard Mulaire, a consacré un article très documenté sur sa vie. Née Lacerte, Catherine a pris le nom de son époux, Joseph Miller, alias Mulaire, un voyageur originaire de Yamaska au Québec, dont le père s’appelait aussi Joseph, mais avec un patronyme aux déclinaisons différentes de son fils: Muler, alias Mulère. Ce Joseph père était le fils de Charles Murle, allemand de naissance. Comme vous le voyez, ce nom de famille s’est transformé à plusieurs reprises!

WebOuest
Catherine Mulaire, née Lacerte en 1920 Crédit : Archives du Manitoba, Collection de photos des Archives du Manitoba, Personnalités - Mulaire, Catherine (née Catherine Lacerte), épouse de Joseph Mulaire, ca. 1920, P1278, N36303

L’archiviste manitobaine Diane Boyd a consacré sa thèse de maîtrise en histoire à l’éducation des femmes catholiques de la Rivière-Rouge (en anglais) en prenant pour exemple la vie de Catherine Mulaire et donne quelques explications aux transformations du patronyme Miller/Mulaire.

« Le nom Mulaire est écrit de façon différente, car plusieurs ancêtres Mulaire étaient illettrés et ce sont généralement les prêtres qui écrivaient les noms sur les registres de baptême et de mariage. L’épellation dépendait de la compréhension orale lors de la prononciation. Si le  patronyme Mulaire domine dans les archives de la famille, on peut aussi y trouver l’épellation Miller, Muler et Mulère. »

WebOuest
On peut voir sur cet affidavit datant de 1875 que Catherine a apposé sa signature en utilisant l’épellation Mulaire. En changeant le nom à «Mulaire», on peut déduire que Catherine affirmait ses liens à la langue française. Il est aussi important de noter que Catherine avait été envoyée à Longueuil pour étudier en français avec les Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie et qu’elle comprenait aussi le michif, le nehiyawewin et l’ojibway. Crédit : photo fournie par Arianne Mulaire

Nom de famille, prénom, surnom, nom de guerre, nom composé… Pour de nombreuses familles, ces identifiants ont changé au cours des générations qui nous ont précédées et ce n’est certainement pas pour faciliter la recherche de leurs ancêtres! Voici quelques sites à consulter sur le sujet. 

Pour mieux comprendre l’histoire et l’évolution des noms d’origine française : Généalogie des Français d’Amérique du Nord

Le fameux Dictionnaire des noms de famille du Canada français de Marc Picard est une référence incontournable. Une partie seulement de cet ouvrage très complet est accessible en ligne. Le livre est aussi disponible dans certaines bibliothèques du pays.

Site de ressources des Généalogistes associés : compilation d’une longue liste de noms de famille avec leurs versions anglaises.

La francophonie du Nord et de l’Ouest habite sur des territoires visés par de multiples traités avec les peuples autochtones ainsi que des territoires non cédés. Ces peuples ont accueilli les premiers francophones et les ont aidés à survivre et prospérer. C'est dans le respect des liens avec le passé, le présent et l'avenir que nous reconnaissons la relation continue entre les peuples autochtones et les autres membres de la communauté francophone. Au-delà de cette reconnaissance, WebOuest s’engage à mettre en lumière des histoires des peuples autochtones qui habitent toujours ces terres.