
Pour cette première chronique, j’ai eu envie de vous parler d’une série tournée dans l’Ouest canadien au sujet d’une de nos plus grandes écrivaines. Le monde de Gabrielle Roy, série en 8 épisodes de 30 minutes qui nous a été livrée juste avant Noël comme un beau cadeau, a été produite par la boîte québécoise Zone 3 et Productions Rivard de Winnipeg. Entièrement tournée au Manitoba, cette excellente production a été scénarisée et réalisée par la talentueuse Renée Blanchar, cinéaste acadienne à qui l’on doit aussi la série Belle-Baie. Si on n’est pas vraiment surpris que les rôles principaux aient été attribués à des « valeurs sûres » issues du paysage télévisuel du Québec, on se réjouit cependant de reconnaître de beaux talents du milieu théâtral franco-manitobain dans les rôles de soutien. Quel bonheur de reconnaître les minois familiers et les doux accents de Micheline Marchildon, Gabriel Gosselin, Laura Lussier, Éric Plamondon, Geneviève Pelletier et, surtout, Marie-Ève Fontaine, touchante dans sa performance discrète mais puissante de Clémence, sœur de Gabrielle.
Dans les rôles de Mélina et Léon Roy, Martine Francke et Gaston Lepage sont très justes et attachants, tout comme la jeune Léa-Kim Lafrance-Leroux dans le rôle de l’écrivaine à 9 ans. Ses grands yeux curieux, sa mine coquine et son énergie intelligente permettent à la jeune recrue d’incarner la future artiste avec fraîcheur. Finalement, Francine Ruel, dans le rôle d’une Mémère à la fois intimidante et chaleureuse, vole la vedette. Dans l’ensemble, la distribution talentueuse et la réalisation précise mais sans esbroufe de Blanchar soutiennent admirablement bien chacun des récits inspirés de moments marquants de cette enfance vécue dans une famille pauvre mais aimante.
Parmi les messages véhiculés par la série, on apprécie particulièrement la façon dont la réalité des francophones de l’Ouest est dépeinte, comme lorsque Mélina et Gabrielle se rendent au magasin Eaton pour acheter de nouvelles bottines et demandent d’être servies en français. Ou comment le père de Gabrielle, agent d’immigration du gouvernement fédéral ayant été mis au chômage après la Première guerre, conserve un rapport empathique envers certains immigrants, dont les Doukhobors, partageant avec eux le sort du nouvel arrivant qui ne sent pas toujours bien accueilli par la majorité anglo-saxonne et protestante. Les destins de Mélina et de ses filles soulignent également avec délicatesse la nature des luttes féministes qui naissent à cette époque. Les scènes dépeignant les réunions de femmes qui appuient les efforts des suffragettes pour obtenir le droit de vote sont magnifiquement reproduites. Et les choix d’avenir restreints des jeunes femmes, entre le mariage, l’enseignement ou l’entrée au couvent, nous rappellent comment nos grands-mères et leurs mères ont dû se battre pour suivre des voies qui ne collaient pas à ce que la société avait décidé pour elles. La vocation de Gabrielle Roy prend donc racine dans ce contexte familial, social et politique complexe.
Si vous êtes de ceux et celles qui gardez un bon souvenir des Filles de Caleb, cette série vous rendra peut-être elle aussi nostalgique d’un passé inconnu mais toujours vivant dans l’imaginaire collectif. Même le thème musical, porté par les instruments à cordes d’un folklore qui vibre encore en nous, procure des émotions à chaque début d’épisode.
Le scénario, dont les scènes ont vraisemblablement été puisées dans les récits autobiographiques de Gabrielle Roy, nous donne envie de plonger à nouveau dans son œuvre littéraire. J’ai donc ressorti mes copies de Rue Deschambault et du magnifique La détresse et l’enchantement, et je me promets bien de tout relire en attendant (et je croise les doigts) la saison 2 de la série Le monde de Gabrielle Roy. J’ai déjà hâte de retrouver l’écrivaine à 19 ans, alors qu’elle part enseigner dans une petite école de rang et développe ensuite une passion pour le théâtre.
La série Le monde de Gabrielle Roy est toujours disponible sur l’Extra de TOU.TV.