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WebOuest Le club des centenaires de l’Ouest

Le club des centenaires de l’Ouest

Le nom de famille, tout un héritage!
Par Martine Bordeleau | 30 mars 2024

L’espérance de vie des personnes nées au 19e siècle dans l’Ouest canadien est très difficile à établir parce qu’il existe très peu d’informations à ce sujet. Selon un ouvrage collectif rédigé en anglais appelé Canadian History: Pre-Confederation, en 1851, les Métis et non autochtones avaient, à la naissance, une espérance de vie de 43 ans seulement. Il fallait faire face à des conditions de vie précaires, des maladies, des périodes de famine, ainsi que les dangers reliés à la chasse aux bisons, aux déplacements saisonniers et aux conflits de territoires. Les plus vulnérables étant les enfants, leur chance de vivre plus longtemps augmentait après l’âge de 5 ans. Et tout comme aujourd’hui, les centenaires se faisaient rares, mais certains d’entre eux et d’entre elles se sont démarqués dans l’histoire de l’Ouest.

Les sœurs Gladu d’Alberta

Lizette Gladu est l’aînée des enfants de Josephte Chartrand Desjarlais, originaire de la colonie de la Rivière-Rouge, et de François Gladu, de Louiseville au Québec. On sait peu de choses de ce couple qui s’est marié à Saint-Boniface au Manitoba avant de s’établir au Petit Lac des Esclaves dans le nord de l’Alberta. Une chose se confirme selon certaines sources en ligne: on compte quelques centenaires ou presque centenaires dans cette famille. Le père, François Gladu, est mort en 1863 à l’âge de 99 ans. Sa fille Lizette, mariée à John Kwenis Quinn en 1836, a suivi son époux d’origine Crie à la chasse au bison toute sa vie, un mode de subsistance rude qui ne l’a pas empêché de vivre longtemps, puisqu’elle est décédée à Edmonton en avril 1907 à l’âge vénérable de 101 ans. Sa sœur Rosalie Gladu a vécu jusqu’à 99 ans, tout comme la fille de celle-ci, Marie Lucille.

Les descendants de Lizette Gladu: sans terre, mais combatifs

À noter que Lizette Gladu et son époux John Kwenis Quinn ont eu 6 enfants dont John fils, devenu le Chef Papaschase de la Nation du même nom. Dès 1877, avec persévérance, il a tenté d’obtenir un territoire au sud d’Edmonton où son peuple vivait déjà. Subissant les tentatives du gouvernement fédéral de John A. McDonald et de ses successeurs de leur enlever les terres qui leur reviennent, les Papaschase sont depuis 150 ans un peuple sans territoire qui a failli disparaître. Mais la lutte n’est pas terminée. En 1999, les descendants de Lizette Gladu et John Kwenis Quinn ont constitué la Première Nation Papaschase et luttent encore aujourd’hui pour obtenir leur territoire. Cette histoire est expliquée en anglais dans le site Web de la Nation Papaschase.  

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À gauche: Chef Papaschase. Source: Papaschase First Nation. À droite: Émile Desorcy et son épouse Marie Vandal. Source: Société historique de Saint-Boniface, Fonds Musée de Saint-Boniface.

Des centenaires au Manitoba

Les archives audionumériques du Centre du patrimoine à Saint-Boniface sont riches de nombreuses entrevues qui sont souvent des témoignages exceptionnels de la vie quotidienne des familles pionnières, comme celle des Désorcy du village de Lorette. Émile Désorcy fils a 100 ans en 1987 au moment où il raconte des anecdotes de sa vie à l’historienne Corinne Tellier. Ses parents, Émile et Mathilde Désorcy sont arrivés à Lorette au Manitoba en 1879 où ils ont élevé leur famille de 11 enfants. Leur fils Émile, qui se raconte dans cette entrevue, épouse Marie Vandal en 1916 avec qui il a eu 8 enfants. Il est devenu fermier à La Broquerie après une carrière dans des établissements banquiers du Manitoba et de la Saskatchewan. Il est décédé en 1988, à l’âge de 101 ans.

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Photo: Alphonsine Carrière née Zastre à 97 ans, en 1993. Source: Société historique de Saint-Boniface, Fonds La Liberté.

Alphonsine Zastre est née en 1896 dans une famille bien connue dans l’Ouest, celle de Louis Riel. Elle est la petite-fille de Marguerite Riel, fille de Louis Riel père et de sa première épouse, mariée à la façon du pays, Marguerite Frappier. 

Dès l’âge de 12 ans, Alphonsine a œuvré dans divers métiers faisant de tout, de femme de ménage à cuisinière en passant par le travail à la ferme. C’est à Saint-Pierre-Jolys qu’elle  rencontre Joseph Carrière qu’elle épouse en 1917. Le couple s’installe à Saint-Vital en 1931. Jardiniers et éleveurs de poules, Alphonsine et Joseph gagnent leur vie en vendant des produits de leur ferme à la ville. Quand les enfants quittent le foyer familial, le couple s’installe à Brokenhead. Dans une entrevue à la Société historique de Saint-Boniface en 1993, Alphonsine raconte ses souvenirs de la famille Riel, et les beaux moments de sa vie malgré la rigueur du quotidien de son époque. Elle est décédée en 1996, six mois après avoir célébré son 100e anniversaire de naissance.

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Photo: Henri Létourneau. Source: Société historique de Saint-Boniface.

Dans les années 1970, le folkloriste Henri Létourneau, qui a vécu lui-même jusqu’à 95 ans, a effectué des dizaines d’entrevues avec des Métis, conservées dans les archives de Centre du Patrimoine au Manitoba. Certains de ces témoignages ont été rassemblés dans un ouvrage rare, Henri Létourneau raconte. Dans un document sonore datant de 1975, l’un des Métis centenaires qui se racontent à Létourneau est Alfred Morin, qui, accompagné de son épouse Rose Morin (née Lavallée), 98 ans, vivaient au Dakota du Nord au moment de l’entretien. C’est un témoignage savoureux d’un Métis aux multiples métiers, dont ceux de cowboy, trappeur, fermier et shérif. 

En écoutant ces témoignages d’une autre époque, on réalise l’importance de capter et de conserver le vécu des gens. Je me plais à imaginer que toutes les productions actuelles de balados, de vidéos et de photos, si elles sont bien conservées, seront à leur tour des archives remarquables pour les prochaines générations.

 

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