En entrevue, Vincent Desrosiers est très généreux. Il nous offre des parcelles de sa personne ainsi que la perspective qui est la sienne quant à sa profession et aux richesses du Nunavut. Bref, un regard à partager! C’est à travers ses mots que nous allons à la rencontre de cet artiste inspirant et inspiré par ses sujets pour la relation qu’il parvient à tisser avec eux. Pour lui, le temps est un investissement dont il sait que les dividendes sont la matière qui rend tout projet possible.
Vincent Desrosiers est aujourd’hui propriétaire de VDOpro, une compagnie spécialisée en services vidéographiques et photographiques, située à Iqaluit. Son parcours professionnel est des plus particuliers, car après un baccalauréat en communications à l’Université Concordia et des contrats importants sur maints plateaux de tournage, c’est son intérêt pour le voyage et la rencontre de l’autre qui le poussent à s’aventurer au Nunavut. Comme il le souligne « Je suis vraiment intéressé par l’humain, c’est quelque chose que j’aime observer, que ce soit avec la photo ou la vidéo. Donc, d’avoir voyagé un peu à travers le monde pour plein de projets – et le plaisir aussi – j’ai vu comment les cultures sont différentes […] puis, ça m’a intéressé de venir au Nunavut parce que c’est une autre culture […] »
Les projets qui stimulent particulièrement Vincent Desrosiers, sont ceux avec lesquels il a l’occasion d’être témoin des performances d’artistes qu’il admire. Le regard de Desrosiers est teinté par une expérience professionnelle qui n’est pas étrangère à la posture de l’esthète prenant plaisir à immortaliser ces moments de grâce que nous offrent les arts de la scène et de l’écran. Il apprécie aussi être le témoin des défis et de la beauté inhérents au climat et au paysage arctique. Donc, de participer à la documentation d’expéditions comme celles de Sarah McNair-Landry et Erik Boomer, est une expérience dont il est reconnaissant. Ce plaisir, il le vit également dans les relations qu’il développe avec des organismes comme Qaggiavuut Performing Arts ou Alianait Arts Festival. Bien qu’il ne soit pas musicien, il « aime aider Qaggiavuut dans ses efforts pour documenter les arts et la culture inuites. »
Certes, il est fier d’avoir été associé à National Geographic, cependant c’est dans l’engagement social lié à la maîtrise de son art qu’il puise sa fierté, car cela a un impact réel sur les gens. Dans cette optique, ses années d’expérience en tant que caméraman à CBC lui ont fait prendre conscience de l’importance de documenter l’histoire quotidienne des Nunavummiut•e•s. Il n’est pas étranger à la préciosité de l’information pour ceux dont le quotidien s’effectue en région éloignée ou nordique.
Ayant voyagé aux quatre coins du Nunavut, il sait que la culture inuite traverse bien plus que sa capitale, Iqaluit. Ce sont dans ses hameaux que se déploie la couleur locale ainsi que la beauté d’un paysage qui semble improbable pour les gens du « Sud ». Selon lui, ce sont dans les collectivités qu’on se retrouve vraiment au Nunavut, chez les Inuits. Comme Desrosiers le souligne : « Autant on dit que Montréal ce n’est pas le Québec, autant Iqaluit ce n’est pas le Nunavut […] »
Vincent Desrosiers a eu le plaisir de documenter la vie de plusieurs Nunavummiut•e•s, dont celle de Noël Vagba. Il participe à la réalisation du documentaire De l’Afrique à l’Arctique (TV5), qui brode le portrait d’une famille de la Côte d’Ivoire et son adaptation liée à son immigration. Comme toute immigration est un amalgame d’exil et d’aventure, ce documentaire intimiste nous transporte à travers les joies et les défis d’une famille. En cela, il témoigne par la bande des réalités de l’immigration internationale dans le Nord canadien.
Le Nunavut influence le travail de Desrosiers de plusieurs manières. Il parle de « l’importance du respect des gens qui te donnent le privilège de les filmer ou de les photographier […] ou les gens qui t’amènent – parce que tu as bâti une relation avec eux – au Floe Edge pour que tu puisses voir des morses sur la glace. C’est parce que tu as bâti une relation avec eux que tu peux réussir à en arriver là…ça vaut cher, mais ça prend du temps à développer. » Au Nunavut, le rythme n’est pas le même qu’ailleurs. C’est dans la temporalité que se développent les relations; Desrosiers chérit celles qu’il tisse. Les relations qui marquent son parcours et qu’il entretient avec les gens qu’il a vu évoluer à travers les années – comme avec les Jerry Cans, Josh Q ou Artcirq –– lui sont primordiales.
D’une extrême générosité, cet entretien avec Vincent Desrosiers m’a permis de m’interroger sur la question même de relation et sur la manière dont notre rapport au temps, dans la culture occidentale dominante, nous intime de troquer la montre contre l’argent au détriment de l’humain. C’est pour cette raison que lorsqu’on vient au Nunavut, la meilleure philosophie est de puiser à l’essentiel. Car qui vient pour saisir ou s’emparer, risque de se retrouver les mains vides. Le secret : prendre le temps de se gorger de la beauté du monde avec tout ce qu’elle contient.