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WebOuest Le mouvement queer est-il âgiste?
Penser aux aîné·e·s, ce n’est pas faire un effort. C’est faire preuve de mémoire et de respect. Crédit photo : libre de droits, Caneva
Les Montagnes

Le mouvement queer est-il âgiste?

Par Martin Bouchard | 9 août 2025

Un journaliste a récemment contacté le Comité FrancoQueer de l’Ouest (CFQO) pour parler d’un sujet qu’on aborde trop peu : l’âgisme dans la communauté queer. On aurait pu croire que dans nos milieux, inclusifs par définition, cette forme de discrimination serait inexistante. Mais la réalité est tout autre.

Pour nourrir la discussion, j’ai invité Pierre Soucy, membre du conseil d’administration du CFQO et vice-président du Carrefour 50+ Colombie-Britannique, à participer à l’entrevue. Pierre a de l’expérience, du recul, et surtout une mémoire vive du militantisme queer au pays.

Des vies marquées par la lutte

Dans les années 70 et 80, il fallait souvent du courage, et ce, simplement pour vivre ouvertement. Pour aimer sans se cacher. Pour être reconnu·e comme un couple. Certaines personnes ont pris la rue, d’autres ont milité plus discrètement, mais toutes ont dû composer avec une société largement hostile. Ce sont elles qui ont posé les premières pierres de nos avancées actuelles. Ce sont elles qui ont vécu la crise du SIDA et perdu des membres précieux de la communauté queer sous forme d’hécatombe. 

Aujourd’hui, on parle davantage d’inclusion, de diversité, d’identité. Les débats sur les pronoms et la représentation sont devenus plus présents. Mais malgré ces progrès, plusieurs de ces personnes, en vieillissant, se retrouvent de nouveau contraintes au silence. Dans certains milieux de soins, leur réalité est ignorée. Et même dans nos propres espaces, elles sentent parfois qu’on les considère comme en marge.

Lors de la dernière assemblée générale du CFQO, par exemple, quelqu’un a lancé à la blague : « Mets ça plus gros, il y a des vieux yeux parmi nous. » Ce genre de remarque, même si elle part sans mauvaise intention, laisse des traces. Pierre l’a ressenti comme un rappel qu’il ne fait plus tout à fait partie du « centre » du mouvement. Qu’on l’écoute… mais qu’on l’encadre selon certains stéréotypes très communs reliés à l’âge.

Et pourtant, Pierre a joué un rôle important dans l’histoire des droits LGBTQ au Canada. À une époque où les couples de même sexe n’avaient aucun statut légal, lui et son mari Stan Moore ont dénoncé une situation absurde : lors d’un transfert diplomatique, l’État a accepté de relocaliser leur chat — mais pas Pierre. Parce qu’il n’était « personne » aux yeux du gouvernement.

Leur histoire a contribué à faire évoluer la législation canadienne. Ce n’est pas rien. Et malgré cela, aujourd’hui encore, Pierre sent qu’on le considère comme « à part ». Les commentaires ne sont pas toujours mal intentionnés. Mais souvent maladroits. Et parfois blessants.

Le retour dans le placard

À mesure qu’elles avancent en âge, de nombreuses personnes queer se replient. Dans les résidences ou les établissements de soins, parler de son orientation ou de son identité devient une source d’inquiétude, et le manque de sensibilisation du personnel soignant n’est que la pointe de l’iceberg. Alors, on se tait et on efface sa propre vérité. N’est-ce pas là un véritable drame humain! Après s’être battu toute sa vie pour se faire reconnaître, on retourne dans l’ombre pour finir ses jours dans la honte. 

Ce retour dans le placard n’est pas une image : c’est une réalité vécue. Et ce retour au placard commence parfois bien avant l’entrée en résidence. Il commence quand on cesse d’inviter les aîné·e·s à nos événements. Quand on ne pense plus à adapter nos contenus. Quand on oublie qu’iels sont là.

Pour ma part, ce que cette entrevue m’a rappelé, c’est que l’âgisme peut se faufiler même dans les espaces qui se veulent ouverts et progressistes comme celui du CFQO. Il faut qu’on reste attentif·ves. Qu’on intègre les aîné·e·s à nos réflexions dès le départ. Pas par gentillesse. Mais parce que ces personnes ont bâti ce dont nous bénéficions aujourd’hui.

Penser aux aîné·e·s, ce n’est pas faire un effort. C’est faire preuve de mémoire et de respect.

Merci à Pierre pour sa confiance, son courage et sa clarté. On te voit. On t’écoute. Et on fera mieux.

En terminant, je vous invite à lire l’article (en anglais) de Canada’s History, qui raconte en détail le parcours de Pierre Soucy et son conjoint et leur combat pour la reconnaissance légale des couples de même sexe : Canada’s History : « Equal under the Law ». 

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