Je vous présente Sean. Un vrai personnage. Extraverti, toujours en train de parler, souvent en retard, super intelligent, il connaît les recoins du système, mais surtout, les rouages de la mécanique.
Je pensais que la mécanique, c’était un travail manuel, carré, systématique, logique et droit au but. Je me suis trompée. Avec Sean, j’ai compris que c’est tout sauf simple. C’est une affaire de patience, d’intuition, d’essais et d’erreurs. Parfois, on ne trouve pas.
La mécanique, ça peut être vague, incertain.
Je m’en suis rendue compte le jour où j’ai mis mes mains dans l’huile et que je l’ai aidé à réparer une auto.
Tout commence par un bruit étrange. Le régime moteur (RPM) de la voiture est fou : l’aiguille monte et redescend sans raison. Le moteur tire plus de gaz que nécessaire.
Premier diagnostic? C’est peut-être juste l’air qui circule mal autour du boîtier papillon (throttle body). On sort la « brosse à dents », comme l’appelle Sean. On nettoie les pièces autour du moteur. On remplace deux petits tuyaux.
Une heure plus tard? Toujours le même problème.
On passe à une autre hypothèse : une fuite d’air dans le système de refroidissement.
On court dans trois magasins pour trouver un entonnoir spécialisé, pour verser le liquide sans créer de bulles.
Résultat? Négatif.
Ça doit être une fuite de vide (vacuum leak) ? On vaporise de l’huile un peu partout. Le moteur changera de son à l’endroit de la fuite.
Rien.
On retire complètement le moteur. On déplace la batterie, les pièces autour.
Notre attention s’arrête sur des petits anneaux d’injecteurs. Du plastique abîmé. Alors on cherche le bon modèle, la bonne épaisseur.
C’est comme chercher un anneau de mariage, il faut la bonne taille. Même si, comme dans un mariage… ce n’est pas toujours ça qui règle les choses.
On va jusqu’au rancart (auto wrecker) pour arracher des injecteurs sur une carcasse.
Et là, ça m’a frappée : Sean est un médecin des voitures.
Ce que je vous raconte ici se lit vite. En réalité, on a passé vingt heures à chercher, à tester, à éliminer des hypothèses. On pourrait facturer tout ce temps. Certains le feraient. Mais pas Sean. Ce n’est pas son genre.
Aujourd’hui, avec les nouveaux injecteurs, le moteur est un peu plus calme. Mais le vrai problème? Il est encore là. Prochaine étape : changer le collecteur d’échappement (exhaust manifold). La pièce manquante du casse-tête? Peut-être. On verra.
Durant tout ce travail, ces découvertes, ces moments de fatigue, j’en ai appris beaucoup sur la mécanique… et sur Sean.
Un jour, il m’a simplement dit « les médecins croient que j’ai le cancer ».
Entre médecine et mécanique
Les docteurs pensent que c’est le côlon, mais ils ne sont pas certains.
Une dizaine de prises de sang, des pilules, des tests. Rien de concluant.
Sean ne visite normalement pas les hôpitaux, à moins d’une réelle obligation.
Trois semaines plus tard, les médecins s’inquiètent de son cerveau.
« Ils vont devoir prendre le jus de mon cerveau, à travers ma colonne vertébrale », m’explique-t-il.
Il me raconte le processus comme si son corps était de la mécanique : « Ils vont créer une petite fuite. Le liquide va couler. Ils vont le collecter ».
Est-ce que les médecins auront une réponse après cette collecte? Nous ne savons pas.
Soudain, tout s’éclaire. Les médecins tâtonnent, comme nous. Ils essaient une pièce, puis une autre. Ils éliminent, ils devinent, ils se contredisent.
Vivre dans l’incertitude.
Sean comprend l’incertitude. Il comprend les essais et erreurs des médecins.
Après tout, il est un médecin de la mécanique.
