Cette dissimulation forcée n’est pas sans conséquence. Elle écorche l’âme, efface les combats menés et les amours vécues. C’est une négation de l’existence même, à un moment où le besoin de compassion et de validation devrait être le plus fort. Être queer n’est pas une phase, c’est une trajectoire de vie qui mérite respect et honneur jusqu’au dernier souffle.
Les exemples où le personnel soignant assume par défaut l’hétérosexualité des personnes aînées sont malheureusement trop communs et peuvent prendre diverses formes, souvent subtiles mais douloureusement perceptibles pour ceux et celles qui en sont victimes.
Prenons l’exemple d’un professionnel de santé qui entre dans la chambre d’un patient et, voyant une photo de deux hommes, demande : « Est-ce votre frère ? », partant du principe qu’une relation intime entre deux hommes d’âge mûr est impensable. Ou encore, lorsqu’on remplit les formulaires médicaux, et que la question des relations est abordée, le terme « épouse » est utilisé pour un homme âgé sans considération à la possibilité qu’il puisse avoir un partenaire masculin.
Il peut également s’agir de conversations où le personnel parle de leurs propres relations hétérosexuelles, en attendant implicitement que la personne aînée partage des souvenirs similaires, excluant ainsi toute autre forme d’expérience amoureuse. Ou lorsqu’une soignante fait une blague sur
« trouver une nouvelle petite amie » à un résident veuf, supposant que le désir d’une compagne féminine est universel.
Ces situations, bien que parfois bien intentionnées, perpétuent l’idée que l’hétérosexualité est la norme et marginalisent les personnes aînées queer, les forçant à naviguer dans un environnement où leur identité est constamment mise en doute ou effacée. Chaque supposition hétéronormative est un rappel que leur identité est invisibilisée, et que leur vérité est secondaire aux yeux de ceux censés les soigner avec compassion et intégrité.
Mais alors, comment éviter cette régression douloureuse? La réponse est simple, mais sa mise en œuvre est un défi: la sensibilisation et l’éducation. Il est impératif que le personnel soignant reçoive une formation qui leur ouvre les yeux sur la diversité des identités et des parcours de vie. Par exemple, des ateliers animés par des membres de la communauté LGBTQ+ pourraient éclairer le personnel soignant sur les subtilités de la diversité sexuelle.
Il est tout aussi crucial de créer des espaces sécuritaires au sein des établissements de soins où les individus queer peuvent exprimer librement leur identité. Des badges ou des signes distinctifs pourraient signaler les alliés au sein du personnel, offrant ainsi des refuges de bienveillance.
Chaque personne a le droit de fermer le livre de sa vie sur une note qui lui est fidèle. C’est notre devoir, en tant que communauté, en tant que soignant.es, en tant qu’humain.es, de veiller à ce que ce droit soit inaliénable.
Chaque personne aînée queer a contribué à façonner le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Il est de notre responsabilité collective de s’assurer que leurs voix continuent à être entendues et que leur existence soit célébrée, pas seulement tolérée. Cela passe par l’engagement de tout le monde, la remise en question de nos préjugés et une volonté inébranlable d’apporter du changement.
Ainsi, la prochaine fois que nous croiserons le regard d’une personne aînée queer, rappelons-nous qu’elle porte en elle une histoire qui mérite d’être racontée et honorée. La double invisibilité n’est pas une fatalité; c’est un appel à l’action pour plus d’inclusion, de reconnaissance et de respect. La fin de vie de personnes aînées queer devrait être un chapitre empreint de reconnaissance pour le chemin parcouru, et non un retour dans l’ombre. C’est un défi que nous devons relever avec cœur et détermination.