Divertir, Découvrir, Enrichir
WebOuest Le droit à l’auto-déclaration du genre… c’est quoi ça?
Les Montagnes

Le droit à l’auto-déclaration du genre… c’est quoi ça?

Par Martin Bouchard | 4 février 2022
Le 10 janvier 2022, la province de la Colombie-Britannique a annoncé que les personnes ayant une identité de genre différente de celle qui se trouve sur leurs documents officiels peuvent changer elles-mêmes les désignations sur leur carte d’assurance-santé, leur permis de conduire et leur certificat de naissance provinciaux, et ce, sans avoir à convaincre une quelconque autorité médicale au préalable. Il s’agit d’une première au Canada.

Cette mesure historique est un grand pas en avant pour les personnes concernées. Grace Lore, secrétaire parlementaire de la Colombie-Britannique pour l’équité entre les sexes, a fait deux déclarations lors de son annonce, que je juge fort pertinentes.

D’abord, elle a dit : « L’adoption d’un modèle non-médical d’identification du genre réduira un obstacle réel auquel les personnes bispirituelles, transgenres, non-binaires et autres personnes de genre diversifié sont confrontées lorsqu’elles tentent de modifier leurs documents d’identification. »

Mais surtout, elle a insisté sur un point qui est déterminant, en affirmant que « chaque personne connaît mieux que quiconque son propre genre. » Et vlan!

Pour moi, une telle déclaration a le même impact que lorsque Pierre Elliot Trudeau avait déclaré en 1969 que le gouvernement n’avait pas sa place dans la chambre à coucher des Canadiens et des Canadiennes. On se rappellera que cela avait mené à la décriminalisation de l’homosexualité.

Cela dit, étant un homme cisgenre, je ne peux pas réellement saisir la portée de cette annonce. Je me suis donc entretenu avec Émanuel Dubbeldam, un homme transgenre qui siège sur le conseil d’administration du Comité FrancoQueer de l’Ouest (CFQO). Il m’a dit que pour lui, cette mesure « permet d’éviter que les personnes trans aient à faire un coming out parfois traumatisant et souvent assez gênant, soit à leur médecin de famille, ou soit à un ou une autre professionnelle de la santé, comme un psychiatre ».

Qu’est-ce que cela veut dire au juste ? En d’autres mots, cela veut dire que les personnes concernées n’auront plus à aller convaincre personne qu’elles sont “assez” trans, “assez” non-binaires, etc., pour mériter de voir changer leur genre sur leurs documents d’identification officiels. « On donne plutôt le pouvoir à toutes les personnes d’assumer elles-mêmes leur identité. » Il s’agit rien de moins qu’un changement de paradigme.

Dans le reste du Canada

En Alberta, province où le CFQO évolue, de même qu’en Saskatchewan, au Manitoba et Ontario, la situation est toute autre. Il faut premièrement préciser que l’accès aux soins de santé accueillants et bienveillants y est déjà limité pour les personnes trans, c’est-à-dire qu’il y a peu de médecins qui sont sensibilisés aux réalités transgenres et non-binaires.

De la même manière, le gouvernement du Québec avait démontré toute son ignorance des enjeux trans et non-binaires en novembre 2021, en proposant un projet de loi aux allures carrément transphobes, qui imposait d’avoir préalablement subi une opération chirurgicale pour pouvoir faire changer la mention de sexe apparaissant sur les documents gouvernementaux. Selon plusieurs groupes de défense des droits 2SLGBTQIA+, cette exigence menaçait de créer des « coming out forcés » en écartant tout un pan de la communauté, soit les personnes n’ayant pas passé sous le bistouri. Heureusement, le gouvernement québécois a révisé sa position.

De retour chez nous, Émanuel Dubbeldam propose une avenue pragmatique pour inciter les provinces de l’Ouest à s’engager sur le même chemin que celui de la Colombie-Britannique. « Dans un système de santé surchargé où il peut être long avant d’obtenir un rendez-vous, l’auto-déclaration du genre sur les documents officiels de la province apporterait un soulagement certain, en-plus de réduire les interactions traumatisantes et humiliantes avec des professionnels de la santé peu préparés aux réalités transgenres et non binaires ».

Une question de sécurité avant tout

Il faut aussi préciser que l’ajout d’une troisième option de désignation du genre, un marqueur de genre X sur les documents officiels, revêt un caractère de sécurité plus grand qu’il n’y paraît au premier regard. « Dès que notre identité de genre ne reflète pas la façon dont on s’affiche, on risque de se faire harceler ou questionner, par exemple, par quelqu’un qui verrait par hasard une de nos pièces d’identité », explique Émanuel Dubbeldam.

Ce dernier se rappelle s’être fait interpeller par la police au début de sa transition. Non seulement les policiers l’ont questionné sur l’authenticité de son permis, mais il a eu très peur pour sa sécurité. Cette situation enclenche de facto toute une série de questionnements qui peuvent causer de l’anxiété et de la détresse. Par exemple, s’il se fait arrêter, est-ce que les policiers vont le croire? Est-ce qu’il doit leur raconter que ça prend du courage et que ce n’est pas si évident que ça d’aller convaincre son médecin de changer son marqueur de genre sur son permis? S’il est amené au poste, à combien de personnes devra-t-il faire un coming out forcé pour s’en sortir?

C’est donc pour éviter des situations comme celles-là que la Colombie-Britannique a initié cette mesure et on espère que les autres provinces de l’Ouest prendront des décisions qui iront dans le même sens.

Faits en bref :

Martin Bouchard écrit au nom du Comité FrancoQueer de l’Ouest, la ressource connexe 2SLGBTQIA+ pour les personnes d’expression française en situation minoritaire dans l’Ouest Canadien.
La francophonie du Nord et de l’Ouest habite sur des territoires visés par de multiples traités avec les peuples autochtones ainsi que des territoires non cédés. Ces peuples ont accueilli les premiers francophones et les ont aidés à survivre et prospérer. C'est dans le respect des liens avec le passé, le présent et l'avenir que nous reconnaissons la relation continue entre les peuples autochtones et les autres membres de la communauté francophone. Au-delà de cette reconnaissance, WebOuest s’engage à mettre en lumière des histoires des peuples autochtones qui habitent toujours ces terres.